Berceau familial d’une lignée de magistrats, l’hôtel Lambert, par sa situation exceptionnelle à l’extrémité orientale de l’île Saint-Louis – à l’angle formé par la rue Saint-Louis-en-l’Île (IVe), où se trouve l’entrée principale, et par le quai d’Anjou, où est l’entrée de service – est l’un des plus beaux spécimens parisiens de l’architecture du xviie siècle : bâti par Louis Le Vau, l’architecte de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne), il est classé Monument historique depuis 1862.
Au rez-de-chaussée se trouvaient la cuisine, les offices, le garde-manger, la salle du commun, les chambres des officiers, la fruiterie, les remises pour plusieurs voitures et les écuries pour seize chevaux.
Au premier étage, à l’extrémité du palier, un vestibule ovale desservait les deux ailes qui se développent en angle droit sur le jardin. Dans la première aile, parallèle au quai d’Anjou, était une galerie peinte en grisaille où est la bibliothèque, ouverte par sept grandes croisées sur le jardin. Dans la seconde aile, le « Cabinet de l’Amour » racontait l’histoire de l’Amour par des toiles d’Eustache Le Sueur (1616-1655), dans des encadrements, au-dessus des portes, au plafond et sur le manteau de la cheminée.
Le deuxième étage était réservé aux réceptions d’apparat. Au-dessus de la bibliothèque s’étendait la « Galerie d’Hercule », décorée par Charles Le Brun (1619-1690).
Au-dessus du « Cabinet de l’Amour », était le « Cabinet des Muses » : les panneaux figuraient les Neuf Muses par Le Sueur, qui a représenté Phaeton demande à Apollon la conduite du char du Soleil pour le plafond et les Heures et l’Aurore pour les dessus-de-porte.
Au troisième et dernier étage, se trouvait le petit « Cabinet des Bains », décoré par Le Sueur, qui vient d’être détruit par un incendie, le 10 juillet 2013.
Sur un terrain qu’il avait acquis en 1639, Jean-Baptiste Lambert (1608-1644), premier commis de Bullion, surintendant des Finances, puis de Fieubet, trésorier de l’Épargne, fit construire cet hôtel.
Sa mort prématurée fit de son frère Nicolas Lambert (1617-1692), dit « Lambert le riche », seigneur de Thorigny [Yonne] et de Sucy-en-Brie [Val-de-Marne], secrétaire du Roi, le nouveau propriétaire. Bientôt maître des requêtes, puis président à la Chambre des Comptes, reçu en 1677, il avait eu, de son union en 1653 avec Marie-Claude Laubespine, fille du marquis de Verderonne, trois fils, dont l’un vécut peu, et une fille.
L’aîné, Claude-Jean-Baptiste Lambert (1653-1703), conseiller au Parlement en 1677, président des Comptes en 1687, hérita de l’hôtel à la mort de son père.
À la mort de Claude-Jean-Baptiste Lambert, la maison devint la propriété de son frère Nicolas Lambert (1666-1729), seigneur de Vermont, conseiller au Parlement en la deuxième Chambre des Requêtes en 1687, et président de cette Chambre en 1697, prévôt des marchands en 1725. Il avait, comme son père, l’esprit porté à la culture des beaux-arts et de la littérature, et augmenta sa bibliothèque. Son portrait, réalisé par Nicolas de Largillière vers 1697, est aujourd’hui au Norton Simon Museum de Pasadena (Californie). Il mourut célibataire, le 10 juillet 1729 :
« Vous êtes priés d’assister au convoy et enterrement de messire Nicolas Lambert, chevalier, conseiller, président honoraire au Parlement de la deuxième Chambre des requestes du Palais, prévost des marchands, décédé en sa maison, rue Saint-Louis, isle Notre-Dame ; qui se fera lundy, onzième juillet 1729, à sept heures précises du soir, en l’église Saint-Louis, sa paroisse, où il sera inhumé. »
Sa bibliothèque fut vendue aux enchères l’année suivante, « post Paschales Ferias » : Bibliotheca Lambertina : seu Catalogus librorum bibliothecæ illustrissimi viri D. D. Nicolai Lambert (Paris, Gabriel Martin, 1730, in-8, [4]-xij-376-[32] p., 3.169 lots + 25 lots [ad usum Delphini]). Le catalogue présente au titre les armes de Nicolas Lambert :
Écartelé : aux 1 et 4, d’azurà la licorne d’argentnaissante de la pointe au chef d’orchargé de trois merlettes de sable, qui est : Lambert ; aux 2 et 3, d’azurà la croix de Saint-André d’or [ou au sautoir alésé d’or] cantonnée de quatre billettes de même, qui est : Aubespine.
Il comporte une très courte table des abréviations, « CLAVIS Notarum, quibus elegantiores Librorum ligaturæ distinguuntur » (p. xij) :
« m. seu mar. . . . . . maroquin.
v. f. . . . . . . . veau fauve.
v. m. . . . . . . . veau marbré.
Et libri non compacti annotantur bl. idest, en blanc. »
N° 2.313. Histoire de la conjuration de Portugal. Paris, veuve Edme Martin, Jean Boudot et Estienne Martin, 1689 |
Les livres répertoriés aux numéros 1 et 1.190 ont eté exclus de la vente pour être donnés par testament au chancelier Henri-François d’Aguesseau : Biblia Sacra Polyglotta (Londres, Roycroft, 1657, 6 vol. in-fol., mar.) et Cartes de la Géographie ancienne & nouvelle, des Sieurs Sanson (6 vol. in-fol., G. P., mar.). Les grands imprimeurs des xvie Robert Estienne, Simon de Colines, Sébastien Gryphe) et xviie siècles (Elzévirs, Plantin) sont présents ; importance des ouvrages religieux et des ouvrages de droit ; goût pour la poésie et le théâtre ; littérature étrangère, italienne et espagnole ; deux incunables. Existent, une rubrique spécifique d’ouvrages « ad usum Delphini », non numérotés (p. 384 [i.e. 374]-375), un « Appendix » d’ouvrages omis (p. 376), un « Index auctorum » et une rubrique « Addenda et corrigenda ».
Pendant près d’un siècle, l’hôtel Lambert avait appartenu à la noblesse : il passa dans les mains des fermiers généraux en 1732.
En 1745, Marin de La Haye en était le propriétaire. La Haye, écuyer, seigneur et patron de Saint-Germain-des-Vaux, de Marcenou, de Draveil, de Beaumont, et en partie du fief de l’Estre qu’il acquit le 17 janvier 1728, conseiller du Roi, trésorier-payeur des Gages de la Chancellerie près la Cour des Comptes de Provence par provisions du 10 avril 1727, l’un des fermiers généraux de sa Majesté, et administrateur de l’Hôpital général à Paris, naquit le 26 octobre 1684. Il épousa le 13 juin 1714 à Boulogne, près Paris, Demoiselle Marie-Edmée de Saint-Mars, fille de Nicolas de Saint-Mars, bourgeois de Paris, et de Françoise-Thérèse Fourny. Il mourut sans enfant le 3 octobre 1753, et fut enterré en l’église de Saint-Louis, île Notre-Dame.
Sa bibliothèque fut vendue en 1754 : le Catalogue des livres et estampes de feu M. de La Haye, fermier général (Paris, G. Martin, 1754, in-8, xij-396 p., 3.820 lots) se termine par une « Table des auteurs » [p. 369-396]. Bibliothèque encyclopédique de livres majoritairement des xviie et xviiie siècles : l’ouvrage le plus ancien date de 1522 [n° 326 : Recollection des ordonnances royaux concernant le fait des aydes] ; les livres d’histoire sont les plus nombreux [n° 1.942-3.523].
En 1776, les peintures du « Cabinet de l’Amour » et du « Cabinet des Muses »furent vendues au roi Louis XVI, et sont aujourd’hui au Musée du Louvre.
La Révolution, partout ailleurs destructrice, semble avoir épargné l’île Saint-Louis. En 1792, l’hôtel Lambert devint propriété nationale et resta inhabité jusqu’en 1809, quand le comte de Montalivet, ministre de l’Intérieur, s’en rendit acquéreur. Les Montalivet transportèrent dans leur château de La Grange [Saint-Bouize, Cher] un certain nombre de panneaux et de boiseries de l’hôtel Lambert, puis vendirent l’habitation à une entreprise de lits militaires, qui en loua une partie à un pensionnat dirigé par une dame Lagrange. Les ballots de laine et les piles de matelas encombrèrent les salons : une poussière blanchâtre, détachée par la carde, a sali l’or des corniches, les arabesques des boiseries, les solives sculptées des plafonds. Quand, en 1842, le prince Adam Czartoryski (1770-1861) devint propriétaire de la maison, il lui rendit son aspect d’autrefois : l’hôtel devint le refuge de la Pologne en exil, après l’échec de l’insurrection polonaise contre la Russie en 1830-1831. Le baron de Rothschild s’en rendit propriétaire en 1975. En 2007, l’hôtel fut cédé au frère de l’émir du Qatar pour la somme de 80 millions d’euros.