Le « Fou de Fonthill »
D’une famille qui s’était enrichie à la Jamaïque, où elle possédait plus de la moitié des plantations de canne à sucre, le futur romancier anglais William Beckford (Londres, 1760-Bath, 1844) fut envoyé à Genève pour terminer ses études. Il était orphelin de père, membre du Parlement et deux fois lord-maire de Londres, depuis l’âge de dix ans. En 1778, il rendit visite au patriarche de Ferney (Ain). Rentré en Angleterre, il publia son premier ouvrage, intitulé Biographical memoirs of extraordinary painters (Londres, J. Robson, 1780), puis il repartit pour la Hollande, l’Allemagne, l’Italie et la France. En 1783, il épousa Margaret Gordon (1763-1786), fille de Charles Gordon (1726-1794), 4e comte de Aboyne. Ayant été accusé d’avoir séduit en 1784, au château de Powderham (Devon), le jeune William Courtenay (1768-1835), Beckford et sa femme se réfugièrent en Suisse, à La Tour-de-Peilz (canton de Vaud) : bien que membre du Parlement, ce scandale l’obligea à renoncer à une carrière politique. Ils eurent deux filles, Margaret-Maria-Elizabeth, puis Susannah-Euphemia, mais la jeune mère mourut après la naissance de la seconde. Inconsolable, « le plus riche des fils de l’Angleterre », selon l’expression de lord Byron, se remit à voyager, en Allemagne, en France, où il assista à la prise de la Bastille, en Italie, en Espagne et au Portugal, qu’il aimait particulièrement et où il se fixa pour deux ans, à la fin de 1793, dans sa villa de Monserrate, sur les côtes de la montagne de Sintra.
Revenu enfin en Angleterre, il fit faire des travaux d’agrandissement au château de son père, appelé « Fonthill Splendens », à Fonthill Gifford (Wiltshire), puis fit commencer en 1796 la construction d’un nouveau château, baptisé « Fonthill Abbey », à environ 1,5 km. au sud-ouest du premier, par l’architecte James Wyatt (1746-1813) : une tour octogonale de 285 pieds de haut [86,86 m.] dominait toute la région. Terminée en 1814, la construction aura coûté 273.000 £, de l’aveu de Beckford lui-même. Il y vécut à l’abri des curieux, comme un ermite dans un musée, entouré seulement de ses domestiques, excitant l’imagination de ses voisins qui se plaisaient à raconter les mystères de la tour.
Sa bibliothèque fut bientôt l’une des plus célèbres de l’Europe, aussi bien pour les ouvrages eux-mêmes que pour les reliures : elle comptait une collection presque sans rivale d’Aldes et d’Elzévirs, et l’un des plus riches ensembles qui fussent au monde en fait de livres de voyages.
On trouve la description de cette bibliothèque et les ouvrages qu’elle renferme dans Repertorium bibliographicum ; or, some account of the most celebrated british libraries (London, William Clarke, 1819, p. 203-230). Jusqu’à sa mort il ne cessa d’acheter des livres et n’en vendit aucun, même quand il fut obligé, plus tard, de vendre quelques-uns de ses tableaux.
Beckford, à gauche, avec son libraire, William Clarke, au centre, en 1817. |
Toujours levé à six heures, il passait la matinée dans sa bibliothèque, coupant son travail d’un léger repas à dix heures : il lisait, annotait ses livres, étudiait les catalogues, entretenait avec les marchands une correspondance passionnée. Après son déjeuner à quinze heures, il s’en allait à cheval, ou en voiture, à travers ses terres, surveillant les travaux, examinant les jardins, s’inquiétant de ses fermiers et de ses serviteurs. Un visiteur venait parfois de Londres ou du continent, pour quelques jours : ainsi, en 1800, une réception fastueuse en l’honneur de lord Nelson dura trois jours.
En 1796, il acheta en bloc la bibliothèque de l’historien britannique Edward Gibbon (1737-1794) et la laissa en dépôt chez son médecin, le Docteur Frédéric Schöll (1757-1835), à Lausanne. Il fit démolir le château de son père en 1807. En 1810, il maria sa fille Susannah-Euphémia (1786-1859) au duc Alexander Hamilton (1767-1852), 10e duc d’Hamilton. L’année suivante, sa fille Margaret (1784-1818) épousa le major général James Orde († 1850).
Conséquence du mouvement abolitionniste, la diminution de ses revenus de la Jamaïque l’obligea en 1823 à vendre Fonthill Abbey, et une partie de ses collections, dont 20.000 volumes de la bibliothèque, à John Farquhar (1751–1826), un ancien officier qui avait fait fortune aux Indes. Il se retira au Lansdown Crescent, à Bath (Somerset), où il fit construire, de 1825 à 1827, la Lansdown Tower, par l’architecte Henry Goodridge (1797-1864) :
« un appartement de la tour portait plus particulièrement le nom de chapelle. Cette chapelle communiquait à une bibliothèque, autre sanctuaire où un bibliophile se serait volontiers laissé ensevelir tout vivant. On y respirait ce délicieux parfum de peau de vélin et de cuir de Russie, qui parle si vivement aux sens de l’amateur de livres. Tous les aromates réunis sur le bûcher de Sardanapale n’étaient rien auprès de cette atmosphère embaumée. Du sommet de la tour, […] un œil exercé pouvait distinguer la tour de Fonthill. Serait-il vrai que la seconde tour n’eût été érigée que pour se procurer ainsi la vue de la première toujours regrettée ? » (In The Athenæum, Londres, 10 mai 1844)
Il était fasciné par les littératures de l’Orient. Des deux éditions de son œuvre principale publiées anonymement la même année, mais totalement différentes, contrairement à ce que dit Stéphane Mallarmé dans sa préface à l’édition de 1876 par Adolphe Labitte, la première est Vathek (Lausanne, Isaac Hignou et Cie, 1787, in-8, iv-204 p.), la seconde Vathek, conte arabe (Paris, Poinçot, 1787, in-8, 190 p.), dont le texte fut préparé par son médecin et ami lausannois François Verdeil (1747-1832). Beckford copia dans l’abbaye de Fonthill l’orgueil babélique du calife, héros de son roman. Le journaliste Cyrus Redding (1785-1870), son biographe, cite aussi de lui, dans Memoirs of William Beckford of Fonthill (Londres, Charles J. Skeet, 1859, vol. II, p. 250), une satire contre la bibliomanie d’une demi-douzaine de feuillets, introuvable et intitulée A catalogue of books to be sold by Maister Thomas Frognall Dibdin.
Le Dernier des libraires français de la « vieille école »
Beckford était donc à Paris depuis 1788. Poursuivant les riches dépouilles que la Révolution jetait dans les rues, il voyait fréquemment le libraire et bibliophile Charles Chardin, quifut pendant trente-cinq ans son fournisseur attitré en livres précieux.
Chardin était né à Saint-Michel-de-Montjoie (Manche), le 9 juin 1742 :
« Charles chardin né hier du legitime mariage de charles chardin Laboureur et de marie chardin ses pere et mere a été baptisé par moy vicaire de cette paroisse ce dixe Jour de Juin mil sept cens quarante deux le parain a été charles Becherel cousin issu de germain dud enfant du côté maternel qui a signé, la maraine charlotte chardin seur dud enfant qui a aussi signé. » [sic]
Il demeurait alors rue Saint-Roch-Poissonnière, ou « petite rue Saint-Roch », [aujourd’hui partie de la rue des Jeûneurs, entre la rue Poissonnière et la rue du Sentier, IIe arrondissement], qui lui revendait quelques curiosités. Après la déclaration de guerre à l’Angleterre, au début de l’année 1793, Chardin apprit que les jours de Beckford étaient menacés. Il courut chez lui, rue de Grenelle, lui fit changer ses vêtements contre ceux d’un commis libraire et le conduisit chez son collègue Jean-Gabriel Mérigot (1738-1818), dit « le Jeune », quai des Augustins, au coin de la rue Pavée [rue Séguier], où il occupa la place de commis. Après quelques semaines, Chardin trouva le moyen de faire délivrer à Beckford un passeport sous un nom d’emprunt, lui permettant de retourner en Angleterre. Jacques-Charles Brunet raconte que Beckford témoigna généreusement sa reconnaissance à son sauveur en lui faisant passer tous les ans une rente de 2.400 francs, jusqu’à sa mort.
Sur la dénonciation de Jean, dit « Louis-Julien », Leymerie, médecin du député Georges Couthon, Chardin fut arrêté le 1er germinal An II [21 mars 1794] comme agent anglais et traduit au Tribunal
révolutionnaire, du 21 au 24 germinal [10-13 avril], avec d’autres, dont le général Arthur Dillon et Pierre-Gaspard Chaumette, dit « Anaxagoras », agent national de la commune de Paris : tous étaient accusés, par le journaliste Jacques Hébert, de complicité dans la conspiration formée contre la liberté et la sûreté du peuple français.
Aux interrogations de l’accusateur public Fouquier-Tinville, Chardin répondit qu’il connaissait Beckford depuis 1787, qu’il l’avait rencontré chez le fils du lord maire de Londres, qu’il l’avait chargé de faire pour lui plusieurs achats de livres, que la bibliothèque trouvée chez lui était la sienne et non celle de Beckford ; qu’il avait chez lui en dépôt des signes de la royauté (bijoux, médailles) parce qu’il en avait été chargé par sa section et par la société populaire ; qu’il s’était intéressé à un nommé Drouin, agent du prince de Wittemberg, que par humanité. Il fut acquitté et libéré.
Cet acquittement provoqua la publication d’une Lettre du citoyen Leymerie, à l’accusateur public, près le Tribunal révolutionnaire :
« J’accuse Fouquier Tinville d’avoir fait acquitter Chardin, chef de légion, se disant Libraire, en supprimant les pièces à sa charge, en n’appelant point les témoins qui avoient fait des déclarations par écrit contre cet agent Anglais. Ledit Chardin prévenu d’avoir conspiré contre la représentation nationale & de s’être approprié une riche & immense bibliothèque, & des chevaux appartenans ci-devant à l’anglais Becfort, & depuis la loi du séquestre des biens de nos ennemis, à la République ; d’avoir dit & fait imprimer qu’il ne connoissoit Becfort que sous des rapports littéraires & typographiques, tandis qu’il y a preuve matérielle qu’il est le chargé d’affaires de cet anglais, dont il reçoit cinq mille livres d’appointemens. » [sic]
La Réponse du citoyen Chardin, de la section de Brutus, à la lettre vraiment contre-révolutionnaire de Leymerie date du 6 fructidor An II [23 août 1794] :
« Qu’il accuse Fouquier-Tinville d’avoir fait acquitter Chardin, chef de légion, se disant libraire, en supprimant les pièces à sa charge, et n’appelant point les témoins qui avoient fait des déclarations par écrit contre cet agent anglais, (ledit Chardin), c’est une calomnie, c’est un crime à punir. […]
Que Leymerie accuse Chardin d’avoir conspiré contre la Représentation Nationale ; qu’il dise qu’il a volé 100 mille écus à la République ; qu’il s’est approprié une riche et immense Bibliotheque, et des chevaux appartenant à Langlais Beckfort, cela peutêtre vraisemblable, mais c’est une fausseté, une calomnie méditée, qui appelle sur Leymerie la vengeance des loix. […]
Les 100 mille écus supposés volés à la Nation, n’existent que dans l’ame atroce de Leymerie. Chardin n’a jamais possédé un écu qui ait appartenu à la Nation, soit à titre de confiance, ou autrement. La bibliothèque qu’il possede lui appartient toute entière, elle est due à son travail constant et pénible, elle est son seul patrimoine et celui de toute sa famille, elle est le fruit et l’objet de son commerce depuis 1779, époque à laquelle il fut ruiné et obligé de vendre une bibliothèque qu’il avoit déjà formée pour lui depuis 1769, et dont le produit fut destiné à l’acquittement de ses dettes. […]
Quant à la riche bibliothèque de Beckford, elle est toute entière dans sa maison ; elle est en séquestre rue Grenelle, les scellés y sont apposés, ainsi que sur ses autres effets, et des gardiens y sont établis, depuis un an. Ses chevaux ont été mis en réquisition par la Nation, […]
Il est de la plus insigne fausseté que Chardin soit le chargé d’affaires de Beckford, il n’en avoit point de Français, […] mais Chardin avoit été prié et chargé du soin de ses livres, et des acquisitions qu’il faisoit pendant ses séjours à Paris. […]
Chardin a reçu effectivement pendant 18 mois 4800 liv. de traitement, payable de trois mois en trois mois pour les soins que dès 1791, il s’étoit engagé de prendre à la recherche des livres que Beckfort désiroit se procurer ; mais son amour ardent pour sa patrie et pour la Révolution, ne lui avoit pas permis d’accepter un traitement annuel de 15000 liv. pour devenir le commensal de cet Anglois, et le suivre constamment dans ses voyages. » [sic]
Du lundi 3 au samedi 29 mai 1779, en 20 vacations, Chardin avait effectivement vendu sa bibliothèque, à l’hôtel Saint-Antoine, rue des Deux Écus [aujourd’hui rue Berger, Ier arrondissement], sous le pseudonyme de « Filheul », qui était le patronyme de sa femme : le Catalogue des livres rares et singuliers du cabinet de M. Filheul (Paris, Dessain junior, 1779, in-8, [4]-lvj-502-[1]-[1 bl.] p., 2.345 [2 numéros 408] + 15 lots). À propos de ce catalogue, Charles Nodier écrivit dans le Catalogue des livres composant le fonds de librairie de feu M. Crozet (Paris, Colomb de Batines, 1841, Seconde partie, p. 190, n° 1601) :
« Je ne sais s’il a existé un amateur du nom de Filheul ; ce qu’il y a de certain, c’est que ce catalogue est celui d’une vente de M. Chardin, bibliophile passionné qui a fait pendant quarante ans le commerce des livres rares et curieux avec un très grand succès. Remarquable par sa belle exécution, il mérite d’ailleurs d’être conservé comme premier specimen des catalogues avec notes, notices et descriptions que les libraires cherchent depuis quelque temps à mettre à la mode, car l’excellent catalogue de la bibliothèque de La Vallière, vol. in-8, est postérieur de quatre ans. La profusion de ces notes laudatives, et souvent fort hyperboliques, dans le catalogue d’une vente dont on doit recueillir le produit, a sans doute quelque apparence de charlatanisme, et ce n’est pas tout à fait sans raison que le Catalogue de Filheul a subi ce reproche ; mais l’enthousiasme des amateurs pour les livres qu’ils ont aimé, est bien digne de quelque indulgence. M. Chardin pensait de ses livres tout ce qu’il en disait, et il l’a prouvé souvent en les rachetant lui-même au prix exorbitant auquel il les avait fait monter. »
Depuis le commencement de la Révolution, Chardin avait toujours travaillé pour elle, dans la section de Brutus : d’abord commissaire pour administrer les secours aux pauvres, il fut successivement nommé lieutenant, capitaine, commandant en second, commandant en chef, électeur en 1790 et 1792, juré d’accusation du tribunal du 17 août 1792, membre du Comité de bienfaisance en 1793, et enfin chef de la 4e légion. Lors de l’insurrection populaire du 10 août 1792 qui marcha sur les Tuileries, Chardin avait été criblé de coups de fusils.
Vers la fin du mois d’octobre 1793, les comités du gouvernement décidèrent qu’il fallait changer les reliures de tous les livres portant des armes ou des fleurs de lys, enlever les pages armoriées, les préfaces et les dédicaces à des rois, etc. Chardin et le libraire Antoine-Augustin Renouard (1765-1853), et Jean-Philippe-Victor Charlemagne (1766-1794), dit « Charlemagne fils », instituteur et membre de la commune de Paris, – et non l’auteur dramatique Armand Charlemagne (1759-1838), comme le prétend Quérard –, osèrent alors publier des Observations de quelques patriotes sur la nécessité de conserver les monuments de la littérature et des arts (Paris, [Didot aîné], An II [1793]) qui eurent pour effet de rendre un décret pour la conservation des livres menacés. Chardin contribua ainsi à la sauvegarde des reliures armoriées des dépôts publics.
En 1797, la bibliothèque de H.-Victor Lefébure, particulièrement riche en reliures du xviiie siècle, fut transportée de Rouen à Paris, dans une des salles du Musée, rue de Thionville ci-devant Dauphine, pensant qu’on en tirerait un parti plus avantageux, mais n’a produit que 40.620 francs : Catalogue des livres provenants [sic] du cabinet de feu H. V. Lefébure de Rouen (Paris, Chardin, 1797, in-8, viii-160 p., 2.008 lots).
Une rencontre historique
Au cours de son voyage sur le continent en 1818, qui sera publié trois ans plus tard, Thomas-Frognall Dibdin (1776-1847), accompagné par George Robert Lewis (1782-1871), habile dessinateur et graveur à l’eau forte, rencontra Chardin, qui demeurait alors rue Sainte-Anne, n° 19 :
« rue qui, dans son cours, fait angle droit avec la rue Saint-Honoré, non loin de l’église Saint-Roch. M. Chardin est le seul qui survit encore aux libraires de la vieille écoleà Paris ; […] M. Chardin est d’une taille au-dessus de la moyenne, et ordinairement vêtu d’une roquelaure ; un petit bonnet de soie noire laisse échapper de chaque côté de son front de longues boucles de cheveux gris-blancs. Et ses traits ? Pour cela je vous envoie sa figure même d’après nature, et faite en deux séances qu’il a données à M. Lewis. […] Il habite au premier au-dessus de l’entresol, et les deux ou trois petites pièces qu’il occupe sont abondamment garnies de livres. Leur intérieur est digne d’intérêt ; ses trésors sont renfermés dans des armoires à glaces, dans lesquelles se trouve un assez grand nombre d’articles rares et précieux. […] Il y a à peine sept ans que M. Chardin publia, en un volume in-8° de près de deux cents pages, un Catalogue de manuscrits, et de livres tous sur Vélin. Il a été long-temps renommé pour les raretés en ce genre. […] C’est une manie chez lui que de compléter ses Alde au moyen de feuillets manuscrits ; et que cet expédient soit convenable ou non, je dois dire que l’exécution en est d’une perfection surprenante ; car il est presque impossible, à la lumière, de découvrir la moindre différence entre ce qui est imprimé et ce qui est exécuté à la plume. […] Dans une espèce de couloir, entre sa pièce principale et sa chambre à coucher, se trouve une volumineuse collection de traités et d’ouvrages imprimés relatifs au beau sexe. […] Ce singulier homme est encore très passionné pour toutes les curiosités de l’antiquaille : anciennes porcelaines, anciens dessins, anciennes peintures, anciennes ciselures, anciennes reliques en tout genre » (In A bibliographical antiquarian and picturesque tour in France and Germany. London, 1821, vol. II, p. 400-404. Traduction de l’anglais par G.A. Crapelet dans Voyage bibliographique, archéologique et pittoresque en France. Paris, Crapelet, 1825, t. IV, p. 89-94).
La bibliothèque de Chardin fut dispersée du 9 février au 22 mars 1824, en 34 vacations, dans l’une des six salles de l’hôtel de Bullion, rue J.-J. Rousseau [Ier arrondissement] : bâti en 1630, sur les dessins de Le Vau, pour le surintendant des finances Claude de Bullion, il était consacré aux ventes publiques depuis 1780 et sera en grande partie détruit lors de l’ouverture de la rue du Louvre en 1880. L’avertissement du Catalogue des livres rares et précieux, de manuscrits, de livres imprimés sur vélin (Paris, De Bure frères, 1823, in-8, xj-[1 bl.]-267-[1 bl.] p., 2.791 lots) précise :
« M. Chardin, connu depuis long-temps des personnes qui s’occupent de livres, avoit successivement acquis, soit dans des ventes, soit autrement, une très grande quantité de livres précieux ; mais sa fortune ne lui ayant point permis de conserver tout ce que son goût lui faisoit acheter, il s’étoit défait des uns, pour pouvoir en conserver d’autres. […]
On pourroit, pour ainsi dire, diviser cette collection de livres, en six genres seulement, savoir : En Manuscrits, en éditions du xve siècle, en une collection des Alde, une des Elzeviers, une des classiques grecs et latins appellés Variorum, et une de livres imprimés sur Vélin. […]
M. Chardin s’étoit plu à faire recopier les feuillets qui manquoient, de manière à en imiter l’impression ; […] Ces feuillets refaits se trouvent principalement dans les Alde et dans les Elzeviers, dont plusieurs aussi ont été lavés ; ils ont été écrits presque tous par Fyot [François-Florent Fyot, calligraphe], qui imitoit dans une telle perfection les impressions et les vignettes anciennes, qu’il seroit souvent difficile de s’en apercevoir.
M. Chardin n’a pu se décider à se défaire de la totalité de ses livres, que parce qu’étant presque toujours dans un état de souffrance et de maladie, il lui est impossible de s’en occuper, comme il avoit l’habitude de le faire ; nous ne croyons pas que d’ici à long-temps, il se présente pour les amateurs de vieux livres une occasion semblable à celle-ci. » [sic]
Chardin, malade, dut mourir peu de temps après. On ne connaît pas la date de son décès, mais on trouve aux Archives de Paris, dont l’état civil antérieur à 1860 a été partiellement reconstitué, deux Charles Chardin décédés : l’un dans l’ancien IIe arrondissement [IXe aujourd’hui], le 30 novembre 1826 ; l’autre dans l’ancien XIIe arrondissement [Ve aujourd’hui], le 27 décembre 1827.
Concernant sa propre bibliothèque, Chardin avait aussi publié une Notice des livres, dont plusieurs sont superbement conditionnés (Paris, Guillaume De Bure l’aîné, 1793, 7p.), qui furent vendus le samedi 18 mai 1793 en l’une des salles de l’hôtel de Bullion, rue J.-J. Rousseau ;
un Catalogue des livres rares et précieux de M. Chardin (Paris, Guillaume De Bure, Père et fils, 1806, in-8, [2]-vi-215 p., 2.126 lots), dont la vente s’est faite rue des « Bons-Enfans » à partir du lundi 27 janvier ;
un remarquable Catalogue de livres précieux, manuscrits et imprimés sur peau-vélin, du cabinet de M.** (Paris, Impr. Leblanc, 1811, in-8, VI-179-[1 bl.] p.), qui n’était pas destiné à une vente publique et où on remarque divers manuscrits de Jarry, des copies figurées faites par le calligraphe Fyot, la Bible polyglotte d’Arias Montanus (Anvers, 1569, 8 vol. in-fol.), les Anecdota graeca publiés par Villoison (1781, 2 vol. in-fol.), Le Roman de la rose (Vérard, 1494, in-fol.), la Collection dite « d’Artois » (Paris, Didot l’Aîné, 1780-1784, 64 vol. in-18), etc. ; sans oublier un catalogue d’éditions « cum notis variorum » (1809, 283 ouvrages formant 107 vol.) et un catalogue d’éditions elzeviriennes (102 ouvrages, 234 vol.).
En Angleterre, Beckford légua tout ce qu’il possédait à sa fille et à son gendre, le duc Alexandre Hamilton. Celui-ci voulut vendre la bibliothèque, qui avait été transportée à Hamilton Palace, mais la duchesse s’y opposa, par respect pour la mémoire de son père.
La bibliothèque fut finalement vendue à Londres par Sotheby, Wilkinson et Hodge : The Hamilton Palace Libraries. Catalogue of […] the Beckford Library, removed from Hamilton Palace (première partie [A-F], 30 juin 1882 ; seconde partie [G-M], 11 décembre 1882 ; troisième partie [N-T], 2 juillet 1883 ; quatrième partie [U-Z], 27 novembre 1883).
Une cinquième partie fut vendue en 1884 : The Hamilton Palace Libraries.Catalogue of valuable books returned from the sales of the Beckford & Hamilton Libraries, having been found to be imperfect.