En 1781, Antoine-Augustin Renouard, qui avait été baptisé le 21 septembre 1765 en l’église Saint-Sauveur [démolie en 1787], embrassa la profession de son père, fabricant de gazes et d’étoffes de soie à Paris, rue Sainte-Apolline (IIe).
Cimetière du Père Lachaise (23e division) |
Il et se mêla, dès ses débuts, au mouvement révolutionnaire, jusqu’à devenir membre de la Société des Amis de la Constitution et publier des Réflexions sur les fabriques nationales et sur celles des gazes en particulier (S.l., s.n., s.d. [1790]), des Idées d’un négociant sur la forme à donner aux tribunaux de commerce (Paris, Desenne, 1790), un Avis aux citoyens qui veulent rester libres (Paris, impr. de Chalon, 1790), un Essai sur les moyens de rendre le reculement des barrières véritablement avantageux au commerce, tant intérieur qu’extérieur (Paris, impr. de Chalon, 1790), qui provoqua la suppression par l’Assemblée nationale de toutes les entraves à la circulation des marchandises, et Le Cri de douleur, ou Nécessité de réformer le tarif proposé par le Comité des impositions, pour les contributions indirectes (1791).
Il devint membre de la Commune de Paris et publia un Coup d’œil sur les monnaies, sur leur administration et sur le ministre des contributions publiques (Paris, Garnery, 1793).
Observations de quelques patriotes (1793) : frontispice |
Mais, passionné pour l’art de la typographie, il fut indigné de la décision prise en octobre 1793 de supprimer dans les livres des dépôts littéraires les armoiries et tous les signes de la royauté, préfaces ou dédicaces à des rois comprises, et publia, à ses risques et périls, des Observations de quelques patriotes sur la nécessité de conserver les monuments de la littérature et des arts (Paris, s. n. [P. Didot], an II [1793]), signées également par le libraire Charles Chardin et l’instituteur Jean-Philippe-Victor Charlemagne, dit « Charlemagne fils ». Il les adressa à tous les établissements publics et littéraires de Paris et à la Convention pour chacun de ses membres. Dès le lendemain de leur distribution, une motion d’ordre des députés Anne-Alexandre-Marie Thibaut et Marie-Joseph Chénier appela l’attention de l’Assemblée sur les dégradations commises dans les établissements littéraires par un fanatisme souvent simulé (22 octobre). Renouard adressa alors une lettre au comité d’instruction publique (23 octobre), et le 25 octobre, sur le rapport de Gilbert Romme, fut rendu le Décret qui défend d’enlever ou de détruire les livres, gravures, &c. revêtus de signes de féodalité (Paris, Impr. nationale, an II). Craignant une distribution trop lente de ce décret, Renouard le fit imprimer à ses frais et l’envoya à toutes les bibliothèques publiques, à toutes les administrations départementales et à tous les établissements littéraires qu’il connaissait.
Le 12 janvier 1794, à Paris, ce patriote épousa Anne-Louise-Catherine de Saintes (Londres, 1772-Saint-Valery-sur-Somme, Somme, 7 juin 1858), fille adultérine d’un aristocrate, Charles-Grégoire marquis de Beauchamps (1731-1817), nommé député de la noblesse de Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime) aux états généraux de 1789 et émigré à Liège. Après les journées des 9 et 10 thermidor an II (27et 28 juillet 1794), qui entraînèrent la chute de Robespierre, Renouard fut emprisonné momentanément avec la plupart des membres de la Commune de Paris, et c’est pendant qu’il était en prison que naquit son fils aîné ; il fut libéré le 3 décembre 1794.
Le calme revenu, Renouard retourna à sa passion pour l’édition, mais, après la publication de son Catalogue des livres imprimés par J.B. Bodoni (Paris, Renouard, 1795), il redevint momentanément fabricant de gazes, avant de s’installer définitivement libraire :
« Ce petit catalogue étoit une espèce d’adieu que je faisois à la fabrication des livres, pour redonner tous mes soins à une fabrication de tout autre genre, et qui m’avoit occupé dès l’année 1781 ; mais ces belles dispositions ne tinrent guère, et dix-huit mois après je fus libraire pour tout de bon, et pour trop long-temps. » (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. IV, p. 244)
Son premier catalogue de commerce, en un feuillet in-4, date de 1796. Il poursuivit la publication d’une collection de seize volumes latins et quatre français dans le format in-18, tirés à deux cent soixante-dix exemplaires sur papier vélin et vingt sur papier de Hollande :
Marci Tullii Ciceronis in Catilinam Orationes quatuor (1795, 1 vol.)
Caii Crispi Sallustii Opera (1795, 2 vol.)
Taciti Germania, Agricola (1795, 1 vol.)
M. T. Ciceronis Cato major, seu de Senectute, Somnium Scipionis, Laelius, seu de Amicitia, Paradoxa (1796, 2 tomes en 1 vol.)
C. Plinii Caecili Secundi Panegyricus Trajano Augusto dictus (1796, 1 vol.)
Apuleii Metamorphoseon libri undecim (1796, 3 vol.)
Psyches et Cupidinis Amores ex Apuleii Metamorphoseon libris excerpti (1796, 1 vol., 90 exemplaires seulement)
Eutropius, Sextus Rufus (1796, 2 vol.)
Cornelii Nepotis Vitae excellentium imperatorum (1796, 2 vol.)
Discours sur l’Histoire universelle par M. Bossuet (1796, 4 vol.)
Petronii Satyricon, cum fragmentis Petronianis et glossario (1797, 2 vol.)
« Bien exécutées et très correctes, ces éditions ont un défaut capital, qui tient au goût du temps où elles furent imprimées, c’est que les volumes sont trop minces, et surtout les pages trop peu pleines. [...] Le volume des Catilinaires se trouvant très fautif, parce que Bailly, prote de l’imprimerie de Didot le jeune, s’étoit permis de mettre sous presse sans vérifier si mes corrections avoient été exécutées, je pris le parti de sacrifier ce volume à vil prix, avec un titre Amstelaedami, 1794, et de le recommencer, en y ajoutant Porcii Latronis in Catilinam Declamatio. Ce qui fait que ce volume se trouve quelquefois en double dans cette collection. » (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. II, p. 82)
Renouard déménagea en 1798 du n° 25 de la rue Apolline au n° 55 de la rue Saint-André-des-Arts (VIe), dans l’hôtel de Villayer [aujourd’hui n° 47].
Ex-libris |
Toutes ses éditions portent, à l’exemple des Alde, la marque d’une « Ancre surmontée du coq, symbole de la vigilance qui présidait à ces éditions, et de la confiance qu’on pouvait avoir dans les textes ». Elles sont remarquables non seulement par leur correction et leur élégance, mais aussi par leurs gravures réalisées par Jean-Michel Moreau (1741-1814), Alexandre-Joseph Desenne (1785-1827), Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823) et Augustin de Saint-Aubin (1736-1807). On lui doit en particulier : Œuvres de Salomon Gessner (1795, 4 vol. ; édition imprimée par Pierre Causse, à Dijon), Les Provinciales, ou Lettres de Louis de Montalte, par B. Pascal (1803, 2 vol. ; sort des presses de Louis-Nicolas Frantin, à Dijon), Les Pensées de Blaise Pascal (1803, 2 vol.), Œuvres complètes de Berquin, nouvelle édition, rangée dans un meilleur ordre (1803, 17 tomes en 24 vol.), Cours de morale, Opuscules en vers et en prose et Théâtre (1804, 2 vol.), Les Souvenirs de madame de Caylus (1804), Mémoires du duc de La Rochefoucauld (1804-1817, 2 vol. ; la première partie publiée pour la première fois en 1817, a été tirée à bien moindre nombre que l’autre volume), Morceaux choisis de Buffon (1807), Stanze del poeta Sciarra Fiorentino (1809 ; édition de fantaisie tirée à 12 exemplaires), Œuvres de Massillon (1810, 13 vol.).
Ayant déserté à la veille de la bataille de Wagram, l’officier d’artillerie Paul-Louis Courier (1772-1825), helléniste fort habile, prit la route de l’Italie et arriva à Florence le 4 novembre 1809. Dès le lendemain, il se rendit à la Bibliothèque Laurentienne, construite dans le cloître de l’église San-Lorenzo, pour examiner avec soin un manuscrit de l’hypothétique Longus, Daphnis et Chloé, qu’il n’avait que feuilleté l’année précédente. Il le trouva complet, et les jours suivants il en copia environ dix pages du premier livre, qu’il savait manquer dans tous les manuscrits connus et dans toutes les éditions existantes.
Oeuvres complètes de P. L. Courier (Paris, Firmin Didot, 1837, p. 444) |
La copie était terminée, lorsque, par malheur, il fit sur une des pages du morceau inédit une tache d’encre qui couvrait une vingtaine de mots. Pour calmer le bibliothécaire, Francesco del Furia, il lui remit le certificat suivant : « Ce morceau de papier, posé par mégarde dans le manuscrit pour servir de marque, s’est trouvé taché d’encre : la faute en est toute à moi, qui ai fait cette étourderie ; en foi de quoi j’ai signé. Courier. Florence, le 10 novembre 1809. »
Le surlendemain, Renouard, qui se trouvait alors à Florence, et qui s’intéressait à la découverte de ce fragment, comptant le publier lui-même, se rendit à la bibliothèque où le bibliothécaire lui présenta le manuscrit : il réussit à décoller la feuille souillée d’encre qui y était encore attachée.
Tandis que Renouard attendait le fragment inédit et sa traduction pour les publier à Paris, Courier changea d’avis, soupçonnant Francesco del Furia de s’attribuer sa découverte, et résolut de donner lui-même une édition de la traduction d’Amyot, retouchée et complétée, et une autre du texte grec : Daphnis et Chloé, traduction complète d’après le manuscript de l’abaye de Florence (Florence, impr. Piatti, 1810, 60 ex. numérotés) et Longi Pastoralium libri IV, graece (Rome, 1810, 52 ex. numérotés ; les pages 189-192, contenant des corrections et imprimées après coup, manquent souvent).
Averti par ses amis de Paris qu’on se proposait de sévir contre lui-même, Courier sentit enfin la nécessité de se défendre, et adressa à Renouard, le 20 septembre 1810, une lettre où se manifestèrent pour la première fois ses qualités de pamphlétaire.
La loi du 25 mars 1817 dispensa des droits de timbre les annonces, prospectus et catalogues de librairie, qui y étaient assujettis par une loi du 6 prairial an VII. La suppression de cet impôt fut provoquée par une brochure publiée par Renouard, et qui avait pour titre : L’Impôt du timbre sur les catalogues de librairie, ruineux pour les libraires, et arithmétiquement onéreux au trésor public (Paris, Renouard, 1816).
En 1821, Renouard s’installa au 6 rue de Tournon (VIe), dans l’hôtel de Brancas, acheté au libraire Martin Bossange (1766-1865). Il aménagea sa riche bibliothèque dans l’ancienne orangerie.
Breveté libraire depuis 1812, Renouard se retira des affaires et remit la direction de sa maison de librairie à son fils Jules en 1826. Après la révolution de 1830, Renouard fut maire du XIe arrondissement [aujourd’hui VIe] avant de se retirer en 1834 à l’abbaye de Saint-Valery-sur-Somme (Somme), qu’il avait achetée à un cousin.
C’est dans les anciens bâtiments de l’abbaye que le bibliophile a passé les dernières années de sa vie au milieu de sa magnifique bibliothèque.
Jules Renouard se distingua par un très grand nombre de publications importantes, notamment : Abrégé de géographie (1833), par Adrien Balbi, Atlas historique et chronologique des littératures anciennes et modernes, des sciences et des beaux-arts (1827-29), par Adrien Jarry de Mancy, Histoire des peintres de toutes les écoles (1849-1855), par Charles Blanc, illustrée de magnifiques gravures sur bois. Jules-Romain Tardieu (1805-1868), qui était entré comme commis en 1822 dans la maison de Renouard, devint l’ami puis l’associé de Jules Renouard en 1837.
Le Bibliophile français. Paris, Bachelin-Deflorenne, 1868, t. II, p. 60 |
Renouard avait été amené à l’édition et à la bibliographie par la bibliophilie :
« Ma bibliothèque fut commencée en 1778 avec le premier écu que me donna mon père et dont je fis usage pour acheter un Horace ; j’avais alors treize ans. »
Acheté en mai 1783, le Manuel d’Épictète trad. par Mr. Dacier, avec une préface de Mr. Louis Dutens (Paris, Didot aîné, 1775, in-18, mar. vert, tabis, dent., tr. dor., rel. Derome) fut le premier livre imprimé sur vélin qui soit entré dans sa bibliothèque :
« C’étoit bien un peu de luxe, pour un jeune homme de dix-sept ans ; mais aussi toutes mes petites économies s’employoient à l’acquisition de livres. Parties de plaisir, recherches de toilette, tout étoit sacrifié à ma chère bibliothéque ; et d’ailleurs un commerce actif et brillant permettoient alors des dépenses que de bien rudes années ont depuis remplacées par de longues et pénibles privations. C’est dans ma première jeunesse que j’ai le plus facilement dépensé pour mes livres. » [sic] (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. I, p. 210-211)
Il raconta sa participation à la vente Soubise de 1788 :
« Jeune homme, peu maître de mon temps, et ne pouvant que rarement assister à la vente de Soubise, je chargeai ce M. Leclerc [« fort honnête libraire, et assez instruit, mais il avoit les beaux livres en horreur »] de quelques commissions. Un beau jour, au lieu d’un exemplaire réglé, à riche et antique reliure, du Nouveau Testament grec d’Estienne, 1549, il m’achète un double de la même édition, mais de l’espèce de ceux qui restent invendus en étalage sur les quais ; et il me dit en me le remettant : “Je n’ai pas eu l’autre, mais c’est toujours la même écriture.” Il n’y avoit la dedans ni ironie, ni persiflage : le bon-homme pensoit ainsi et agissoit en conséquence. » [sic] (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. IV, p. 257-258)
La première acquisition importante que fit Renouard fut celle des éditions aldines du cardinal de Loménie-Brienne, en février 1794, que le libraire Gian Claudio Molini (1724-1812), rue du Jardinet (VIe), venait d’acquérir. En 1801, Richard-François-Philippe Brunck, ancien commissaire des guerres et receveur des finances, lui proposa l’acquisition d’une partie de sa bibliothèque. En 1809, Renouard fut présent, à Paris, à la vente de Carlos-Antonio de La Serna Santander, conservateur de la bibliothèque de Bruxelles.
« des voyages multipliés dans les diverses parties de l’Europe [Londres en 1792, 1813 et 1816 ; Italie en 1800 et 1809 ; Leipzig en 1801 ; Anvers en 1817], une correspondance active, et [...] mon attention continuellement dirigée vers cet objet de prédilection, voilà la baguette qui a rassemblé toutes ces merveilles bibliographiques. » (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. I, p. x-xj)
Pour les reliures, Renouard avait employé Derome dans sa première jeunesse. Il se servit plus tard de Pierre-Joseh Bisiaux, rue du Foin-Saint-Jacques, l’ancien relieur de Madame du Barry, et de Alexis-Pierre Bradel, dit « l’aîné », successeur de Derome. Depuis, il s’adressa aux plus habiles relieurs de l’époque, tels que Bozerian, Simier, Thouvenin, Purgold, et Bauzonnet.
Il réunit donc un remarquable ensemble de beaux livres et fit une première vente de livres avec un Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de M. R. (Paris, Renouard, XIII-1804, in-8, viij-215-[1 bl.] p., 1.808 lots) ; la vente, en 23 vacations, du lundi 28 brumaire au vendredi 23 frimaire an XIII [19 novembre au 14 décembre 1804], produisit 48.818 francs. Il récidiva sept ans plus tard, avec un Catalogue des livres rares et précieux de M*** (Paris, Renouard, 1811).
« En 1804, je fis faire une vente publique d’une partie de ma Bibliothèque, parce que véritablement j’avois trop de livres, et surtout de certains grands ouvrages dont je finissois par me soucier fort peu. » (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. III, p. 78)
« Il est bien difficile de former une bibliothèque sans avoir de temps en temps à en écarter plus ou moins de volumes. Ces deux ventes [1804 et 1811] se composèrent donc et d’exemplaires remplacés par d’autres plus beaux, ou par des éditions meilleures, et aussi de livres dont je me suis défait pour ne pas augmenter indéfiniment et indiscrètement mes collections. » (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. IV, p. 263)
Renouard constitua une nouvelle bibliothèque dont il établit un catalogue particulièrement soigné : Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, avec notes bibliographiques, critiques et littéraires (Paris, Renouard, 1819, 4 tomes en 4 vol.) :
Tome I. Théologie, jurisprudence, sciences et arts : [4]-xx-360 p.
Tome II. Belles-lettres – Première partie : [2]-354 p.
Tome III. Belles-lettres – Seconde partie : [4]-348 p.
Tome IV. Histoire : [2]-407-[1 bl.] p., se terminant par : « Livres imprimés dans le xve siècle, qui se trouvent dans cette bibliothèque » (p. 297-307), « Editions aldines qui ne sont point dans cette bibliothèque » (p. 308-312), « Liste des livres imprimés sur vélin » (p. 313-321), « Notice des dessins, avec l’indication des ouvrages dans lesquels ils sont placés » (p. 322-332), « Table alphabétique des noms des auteurs et titres des ouvrages anonymes » (p. 333-401), [1 bl.], « Errata » (p. 403-404) et une « Table des divisions contenues dans ce volume » (p. 405-407).
« Ce n’est, que l’on me permette cette expression, rien qu’un livre de fantaisie, et sans prétentions, une série d’intitulés formée par un ami des lettres, d’abord et surtout pour le bon ordre de sa bibliothèque » (Catalogue de la bibliothèque d’un amateur, 1819, t. I, p. vij).
Son collègue Jacques-Charles Brunet le jugea alors un peu sévèrement : « peut-être s’aperçoit-on trop, en le lisant, que l’auteur a voulu prouver qu’il savait faire toute autre chose que de la bibliographie. »
Charles Nodier (1780-1844) ne fut pas plus tendre dans son article publié dans le Journal des débats politiques et littéraires du 15 août 1819 : « Je n’essaierai pas de dissimuler que le Catalogue de M. Renouard est dans son ensemble un monument de bibliomanie, et que cette manie qui est la plus excusable, et peut-être la plus aimable de toutes, n’en est pas moins une manie. Je conviens que j’ai peine à m’expliquer à moi-même le motif qui peut déterminer un amateur à amasser les unes sur les autres dix-huit éditions des Canons du Concile de Trente et dix-sept de son Catéchisme. »
Renouard vendit une partie de tous ces livres en 1820, en 1821 et en 1825.
- le 23 juin 1834 et les 6 jours suivants : Catalogue of a distinguished portion of the choice, curious and splendid library of Monsieur Renouard(London, R. H. Evans, 1834, in-8, 86 p.).
Ses éditions elzéviriennes furent vendues à Paris, en 1829 : Catalogue d’éditions elzéviriennes et autres bons livres dépendant de la bibliothèque de M. A. A. R. (Paris, Merlin, 1829, in-8, 9 feuilles).
La vente de sa série aldine eut lieu à Londres, en 4 vacations, le 26 juin 1828 et les trois jours suivants, et a produit £ 2.704. 1 s. [env. 60.000 fr.] : Bibliotheca Aldina. An extensive and extraordinary assemblage of the productions of the aldine press, the property of M. Renouard (London, R. H. Evans, 1828, in-8, [2]-42 p., 1.028 lots).
Deux autres ventes eurent lieu à Londres :
- le 26 avril 1830 et les 4 jours suivants : Catalogue of a very select portion of the choice and valuable library of M. Renouard (London, R. H. Evans, 1830, in-8, [3]-[1 bl.]-52 p., 1.091 lots).
Annonce de la vente Renouard In Catalogue of the splendid, choice and curious library of P. A. Hanrott, esq. Part the third (London, R. H. Evans, 1834) |
- le 23 juin 1834 et les 6 jours suivants : Catalogue of a distinguished portion of the choice, curious and splendid library of Monsieur Renouard(London, R. H. Evans, 1834, in-8, 86 p.).
Il renfloua sans cesse sa bibliothèque, dont il donna le dernier état en 1853, à la veille de son décès : Catalogue d’une précieuse collection de livres, manuscrits, autographes, dessins et gravurescomposant actuellement la bibliothèque de M. A. A. R. (Paris, Jules Renouard et Cie, 1853, in-8, [4]-IV-420 p., 3.604 lots), avec une « Nomenclature abrégée des ouvrages imprimés sur vélin », une « Table des noms des auteurs » et une « Table des divisions » ; il « a voulu que ces livres se présentassent un jour devant le public accompagnés de la recommandation authentique de celui qui les a le mieux connus. » (p. II).
Étant mort peu après, cette bibliothèque fut vendue à Paris, en 25 vacations, du lundi 21 novembre au lundi 18 décembre 1854 : la vente produisit 203.600 francs.
Le catalogue avait fait l’objet d’une seconde édition augmentée d’une « Préface » et d’un « Supplément » de 96 lots (p. 369-377) à l’occasion de cette vente. Catalogue d’une précieuse collection de livres, manuscrits, autographes, dessins et gravurescomposant la bibliothèque de feu M. Antoine-Augustin Renouard (Paris, L. Potier et Jules Renouard et Cie, Londres, Barthès et Lowel, 1854, in-8, XXXII-430 p., 3.700 lots) :
« Les raretés de toute espèce abondent dans la collection de M. Renouard. On y remarque plusieurs manuscrits précieux […] ; de brillants spécimens de l’art typographique […] ; un choix d’exemplaires hors ligne des plus beaux Elseviers ; des livres rares dans les classes de la vieille poésie française, des romans et de l’histoire de France du xvie siècle ; une réunion tellement considérable de livres imprimés sur vélin, qu’on a cru devoir en donner la liste à la fin du Catalogue.
[…] Les littératures ancienne et moderne y sont représentées par les plus belles et les meilleures éditions, entre lesquelles on ne s’étonnera pas de voir au premier rang celles que M. Renouard a données comme éditeur. […] il n’a voulu admettre dans sa collection que des exemplaires sur papier supérieur, tirés à petit nombre, choisis avec soin entre plusieurs, et ornés avec profusion, mais toutefois avec goût, de nombreux portraits et gravures avant la lettre, et en outre d’une multitude (c’est le mot) de dessins originaux des meilleurs artistes […]. (p. XI-XII)
4. Biblia sacra vulgatae editionis. Romae, ex typographia apostolica Vaticana, 1590, in-fol., charta magna, v. f. dent. tr. dor. Aux armes du pape Pie VII. Bible dite « de Sixte-Quint ». 2.650 fr. à J. Towey, vivement disputé par Boone, tous deux libraires à Londres.
5. Biblia sacra latina. Coloniae Agrippinae, Bernardus Gualterus, 1630, pet. In-8, mar. r., fermoirs et coins en or émaillé. Rel. pointillée, à compart., tranche à fleurs, un des chefs-d’œuvre de Le Gascon. 1.305 fr. à Potier.
14. Le Nouveau Testament en latin et en françois, traduit par Le Maistre de Sacy. Paris, Didot jeune, 1793, 5 vol. in-4, grand pap. vélin, mar. vert, tabis. Joints, les 112 dessins originaux de Moreau le jeune. 1.640 fr. à Potier.
28. Ars memorandi. In-fol., mar. fauve, tr. dor. (Bauzonnet-Trautz). Fig. coloriées dans le temps. 2.750 fr. à Techener.
50. Preces piae. In-4, chagrin noir, fermoir de vermeil. Manuscrit sur vélin. 10.350 fr. à J. de Rothschild.
64 bis. D. Aurelii Augustini libri XIII confessionum. Lugduni, Dan. Elzev., 1675, in-12, papier fin, mar. bl., fil., tr. dor., très grandes marges (137 mm.). Ex. de Longepierre. 495 fr. à Potier.
120. Ars moriendi. Pet. in-fol., mar. fauve, fig. (Bauzonnet-Trautz). 1.050 fr. à Boone.
171. Il Catechismo, di Bernardino Ochino da Siena. In Basilea, 1561, in-8, mar. vert, fil., tr. dor., tabis (Derome). Acheté par Renouard en 1791. Ex. de Montaigne, avec sa signature au titre, qui en fit présent à Charron. 200 fr. Aujourd’hui à la B.n.F.
269. Nova Compilatio decretalium Gregorii noni cum glossa. Moguntiae, Petrum Schoiffer, 1473, gr. In-fol., v. br. Sur vélin, 5 petites miniatures. 805 fr. à Boone.
284. Omnia Platonis opera. Graece. Venetiis, in aedibus Aldi et Andreae Soceri, 1513, in-fol., vieux mar. Précieux volume, quoiqu’il lui manqué le dernier feuillet. Bien conservé et de très grandes marges, il porte sur son titre, en deux lignes, la signature de Rabelais. Sur onze feuillets, outre le titre, sont des notules, pareillement de l’écriture de Rabelais. 550 fr.
« L’exemplaire qui nous occupe se trouvait, au commencement du siècle dernier, dans la bibliothèque du prince Lebrun, duc de Plaisance [Charles-François Lebrun (1739-1824)]. Il figura, relié en veau brun, sous le n° 156 du catalogue de cette bibliothèque, lorsqu’elle fut vendue, en novembre 1824. Il ne comprenait que la première partie de l’édition aldine. Le volume fut adjugé à M. Renouard au prix de 83 fr. Ce dernier en détacha le frontispice, qui portait la mention autographe mise par Rabelais : “ Francisci Rabelesi medici σπουδαιοτάτου καί τών αύτού φίλων χριστϊανών ” et il l’adapta à un exemplaire des deux parties de la même édition [Renouard créa donc une fausse provenance, sans troubler « ses habitudes de conscience scrupuleuse »], relié en vieux maroquin, qu’il possédait, et où se trouvaient, sur onze feuillets, des notules manuscrites d’une ancienne écriture qui n’était pas celle de Rabelais. C’est ainsi, remarque Brunet [Manuel du libraire, 1863, t. IV, col. 694-695], que la première partie, reliée en veau brun, annoncée dans le catalogue du prince Lebrun, est devenue, sous le n° 284 de celui de M. Renouard, un exemplaire complet (sauf le dernier f.), relié en vieux maroquin, et qui, “ au moyen d’une note adroitement conçue ”, a pu être porté à 550 fr. »
(Abel Lefranc. « Le Platon de Rabelais ». In Bulletin du bibliophile. Paris, Henri Leclerc, 1901, N° 3-15 Mars, p. 106)
358.Manuel d’Épictète, trad. par M. Dacier, avec une préface de M. Louis Dutens. Paris, Didot aîné, 1775, in-18, mar. vert, tabis, dent., tr. dor. (Derome). Son premier livre impr. sur vélin. 49 fr.
529. Histoire naturelle des perroquets, par François Levaillant. Paris, Levrault, 1801, 2 vol. in-fol., gr. pap. vél. relié à dos de mar. r. non r. Dix ex. seulement ont été tirés de ce grand format. 100 fr.
658. Le Musée françois, ou Recueil des tableaux, statues et bas-reliefs qui composent la Collection nationale. Paris, 1803-1809. 4 t. en 5 vol. gr. in-fol., pap. vél., rel. à dos de cuir de Russie, non r. Ex. avant la lettre. 1.800 fr.
670.Œuvre de Callot. 737 estampes en 1 vol. de fort papier blanc, grandeur d’atlas. 660 fr. au baron de Salis.
877. M. Tullii orationes. Venetiis, Christophorus Valdarfer, 1471, in-fol., sur vélin, veau fauve ancien richement travaillé, compart., fermoirs en cuivre. 9.000 fr. à Boone.
1.057. Lucretius. Venetiis, in aedibus Aldi et Andreae soceri, 1515, in-8, mar. r., tr. dor. Ex. de Grolier. Dos refait. 200 fr.
« Renouard est un des bibliophiles français qui ont possédé le plus grand nombre de ces livres [de Grolier] : dans le catalogue de sa bibliothèque, j’en ai compté jusqu’à seize, dont deux manuscrits ; et ce ne sont pas les seuls qu’il ait eus aux différentes époques de sa vie. Dans le catalogue de vente de sa bibliothèque, vente faite après sa mort en 1854, on ne trouve plus que trois volumes à la reliure de Grolier : Lucrèce, Virgile, Erasme ; les deux derniers dans un état parfait de conservation. »
(Le Roux de Lincy. Recherches sur Jean Grolier. Paris, L. Potier, 1866, p. 167)
1.072. Virgilius. Venetiis, in aedibus Aldi et Andreae soceri, 1527, in-8, mar. jaune, riches compart., tr. dor. Ex. de Grolier. 1.600 fr. à Solar.
1.280. Les Œuvres de Pierre de Ronsard. Paris, 1609, in-fol., gr. pap., mar. vert. Armes de De Thou. 680 fr. à Solar.
1.314. Les Contes de La Fontaine. Amsterdam [Paris, Barbou], 1762, 2 t. en 4 vol. in-8, mar. bl., tabis, non r. (Lefèvre). Ed. des fermiers généraux. Ex. unique contenant les premières épreuves, toutes les planches doubles, les eaux-fortes, 16 dessins d’Eisen, etc. 1.100 fr.
1.389. Fables, ou Allégories philosophiques, par Dorat. Paris, 1772, 4 vol. in-8, pap. de Holl., mar. bl. moire. 1.400 fr.
1.532. Dessins de Moreau, pour Molière. 1 vol. pet. in-4 de pap. blanc, à dos de mar. r. 30 pièces avec leurs gravures correspondantes et 4 crayons du portrait de Molière par Saint-Aubin. Chef-d’œuvre de Moreau. 1.105 fr.
2.013. Le Temple de Gnide. Paris, Didot, 1796, in-4, pap. vél., fig., rel. en vélin, moire, étui mar. bl. doublé de tabis. Sur chaque côté de la couverture en vélin blanc, doublée de moire, est un dessin de Moreau. 260 fr.
2.180. Le Grand Roy de Gargantua. Lyon, v. 1532, pet. in-4, goth., mar. violet, dent. tr. dor. (Thouvenin). Seul connu. 1.825 fr. à la Bibliothèque impériale.
2.305. Erasmi Roterodami adagia. Venetiis, in aedibus Aldi et Andreae soceri, 1520, in-fol., mar. bl., compart., tr. dor. Ex. de Grolier. 1.720 fr.
2.687. Histoire du clergé séculier et régulier, des ordres religieux, de Schoonebeek, etc. Amsterdam, Pierre Brunet, 1716, 4 vol. in-8, fig., gr. pap., mar. r., fil., tr. dor. (Rel. Derome jeune, 1763). Ex. de Bonnemet et de La Vallière. 300 fr.
2.770. Sallustius. Venetiis, Aldus, 1509, in-8, mar. ancien, compart. à la Grolier. Signatures de Henri IV (Henry de Bourbon) et de l’abbé Hédelin au titre. 80 fr.
2.838. Guillaume Postel. La Loy salique. Paris, 1552. – L’Histoire mémorable des expéditions depuys le déluge faictes par les Gaulois. Paris, Sébastian Nivelle, 1552. In-12, v. f. dans un étui de mar. r. doublé de tabis. Aux armes du comte d’Hoym. 111 fr.
2.973. Recueil de Mazarinades. 4.066 pièces en 86 paquets in-4. Collection la plus complète qui existe peut-être, commencée par Secousse et continuée par La Vallière. 1.590 fr.
3.079. Le Livre des statuts et ordonances de l’Ordre Sainct Michel (Paris, v. 1550). In-4, veau fauve, compart., tr. dor. Sur vélin. Aux armes et au chiffre de Henri II. 120 fr.
Armes de Gabriel Bernard de Rieux (1687-1745) |
3.592. Dictionnaire historique et critique par P. Bayle. 3eéd., Rotterdam, 1720, 4 vol. in-fol., mar. citr., larges dent., tr. dor. Aux armes du président Bernard de Rieux, fils de Samuel Bernard. 401 fr.
Une partie de ces beaux livres fut acquise par le duc d’Aumale. Suivit, le 21 juin 1855, à la même Maison Silvestre, la vente sur Catalogue de lettres autographes provenant du cabinet de feu M. Antoine-Augustin Renouard (Paris, L. Potier, 1855, in-8, 90 p., 754 lots).
Renouard avait dirigé également quelques ventes de bibliothèques privées : sa première vente, celle de Detune, libraire à La Haye, Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de feu M. D… (Paris, Renouard, 1806) ;
celle de Lamy, libraire à Paris, Catalogue des livres manuscrits et imprimés, des peintures et estampes du cabinet de M. L… (Paris, Renouard, 1807) ;
celle de Eugène de Cyvert, Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de M. Eugène de C... (Paris, Renouard, 1808).
Renouard fut encore un bibliographe érudit : après son Catalogue des livres imprimés par J.B. Bodoni (Paris, Renouard, 1795), il publia :
Annales de l'imprimerie des Alde (Paris, J. Renouard, 1834, 3e éd.) : frontispice |
Annales de l’imprimerie des Alde, ou Histoire des trois Manuce et de leurs éditions (Paris, Renouard, XII-1803, 2 vol.) ; Supplément (ibid., 1812) ; Seconde édition (ibid., 1825, 3 vol.) ; Troisième édition (Paris, Jules Renouard, 1834 ; 350 exemplaires in-8 et 30 exemplaires in-4), qui a reçu de nouvelles améliorations et additions, surtout pour la « Notice sur la famille des Junte ».
Robert [I] Estienne (Annales de l'imprimerie des Estienne. Paris, J. Renouard, 1837, p. 24*) |
Annales de l’imprimerie des Estienne, ou Histoire de la famille des Estienne et de ses éditions (Première partie : Paris, Jules Renouard, 1837 ; Seconde partie : Paris, Jules Renouard et Cie, 1838 ; 3 exemplaires grand in-4). À la fin de la seconde partie se trouve une « Note sur Laurent Coster » qui avait déjà paru moins complète dans le Catalogue de la bibliothèque d’un amateur de 1819 (t. II, p. 152-158) ; de cette même note on avait tiré quelques exemplaires à part sous la date de Paris, Crapelet, 1818. La Revue des deux mondes concluait alors :
« Le nom de M. Renouard doit être désormais associé, dans l’histoire littéraire, au souvenir de nos grands et célèbres imprimeurs, et on peut dignement l’inscrire à côté des Debure et des Van Praët, dans cette science bibliographique qu’ont renouvelée et étendue les excellens [sic] travaux de M. Brunet. »
Pour la liste des éditions des Estienne, la Deuxième édition (Paris, Jules Renouard et Cie, 1843, in-8 ; 16 exemplaires in-4) laisse encore beaucoup à désirer.
Antoine-Augustin Renouard mourut au bord de la mer, dans son abbaye, le 15 décembre 1853, dans sa 89e année.
Son fils et successeur Jules Renouard (Paris, 13 février 1798-20 février 1854) fut l’un des fondateurs du Cercle de la librairie et de la Société formée pour la défense de la propriété littéraire et artistique ; il était juge au tribunal de commerce et chevalier de la Légion d’honneur quand la mort le frappa prématurément. Sa veuve, Amélie Talabot (Limoges, Haute-Vienne, 28 octobre 1810-Chamberet, Corrèze, 21 janvier 1869), sa seconde épouse depuis 1837, lui succéda ; Jules Tardieu la seconda pendant quelques temps avant de fonder lui-même un autre établissement en 1856.