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Jean Engel (1819-1892), père de la reliure industrielle

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Les Deux Gaspards. Paris, Jouvet et Cie, 1887


La date de naissance de Jean Engel, deuxième du nom, donnée par Louis Dumur dans la Chronique du Journal général de l’imprimerie et de la librairie (81e Année, 2e Série, N° 30, 23 Juillet 1892, p. 152), est erronée. Elle a été reprise successivement par : Émile Bosquet, dans La Reliure (Paris, Imprimerie générale Lahure, 1894, p. 35), après qu’il ait pourtant écrit l’année correcte dans L’Imprimerie, journal de la typographie, de la lithographie et des arts et professions qui s’y rattachent (15 mars 1891, p. 1.134) ; Henri Beraldi, dans La Reliure du XIXe siècle (Paris, L. Conquet, 1895, t. II, p. 54) ; Charles Meunier, dans Réflexions d’un praticien en marge de La Reliure du XIXe siècle de M. Henri Beraldi (Paris, Maison du livre, 1918, p. 73) ; René Billoux, dans l’Encyclopédie chronologique des arts graphiques (Paris, L’Auteur, 1943, p. 139) ; Sophie Malavieille, dans Reliures et cartonnages d’éditeur en France au XIXe siècle (1815-1865) (Paris, Éditions Promodis, 1985, p. 241) et dans le Dictionnaire encyclopédique du livre (Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2005, t. II, p. 77) ; Philippe Boitel, dans Les Français qui ont fait la France (Bordeaux, Éditions Sud Ouest, 2009, p. 495) ; la Bibliothèque nationale de France et autres amateurs.

Jean [II] Engel. In E. Bosquet. La Reliure. Paris, Imprimerie générale Lahure, 1894, p. 34

 

Jean [II] Engel naquit le 1er novembre 1819 à Ebingen [quartier d’Albstadt, Bade-Wurtemberg, Allemagne], fils de Élisabeth-Barbe Linder et de Jean [I] Engel, ancien soldat d’une famille originaire de l’est de la France, fixé en Westphalie en 1808 et devenu bonnetier à Ebingen.

Jean Engel commença son apprentissage du métier de relieur dès l’âge de 12 ans à Tübingen [Bade-Wurtemberg, Allemagne], puis vint à Dijon [Côte-d’Or], où il passa chez Antoine Maître (1809-1871), place Saint-Jean, dans la maison natale du peintre Bénédict Masson (1819-1893), avant de monter à Paris.

Il débuta en 1832 dans l’atelier de Wagner, alors au 9 rue Poupée [disparue, Ve], puis travailla chez Joseph-Rodolphe Kleinhans (° 1828), 56 rue Mazarine [VIe: il y croisa Jean-Baptiste Galette (1806-1876), lui aussi apprenti, qui s’instala en 1836 au 47 rue Mazarine.


 

Pendant ce temps-là, le 22 novembre 1834, Étienne-René Berthe-Noël, d’Angers [Maine-et-Loire], relieur installé dans l’immeuble portant les numéros 2 rue du Battoir-Saint-André-des-Arts [partie ouest de la rue Serpente, VIe] et 10 rue Hautefeuille, à l’angle des deux rues, obtenait « un brevet d’importation et de perfectionnement de cinq ans, pour l’emploi de la toile, de la perkale [sic] ou percaline, de la cotonnade et autres étoffes semblables à tous les objets de reliure, cartonnage, gainerie et couvertures en tous genres, et pour les procédés de préparation au moyen desquels ces étoffes servent utilement à ces différents usages. »

Engel, rue du Pont-de-Lodi (1838-1844)

3 rue du Pont-de-Lodi. Façade sur cour, par Charles Lansiaux (1917). Coll. Musée Carnavalet

 

En 1838, à l’âge de 19 ans, après avoir réalisé un fonds d’économie de 1.200 francs, Jean Engel s’installa à son compte, 3 rue du Pont-de-Lodi [VIe].



Le 16 novembre 1841, domicilié 79 rue Saint-Jacques [Ve], Jean Engel épousa Ève-Catherine [I] Schaeck, relieuse, née le 10 juin 1813 à Geudertheim [Bas-Rhin], fille de Michel [I] Schaeck, cultivateur, décédé le 8 mars 1838, et de Anne-Marie Walter : père naturel à quatorze ans,il reconnut et légitima alors Ève-Catherine [II] Schaeck, née le 12 octobre 1833 à Geudertheim ; parmi les témoins du mariage, un frère de la mariée, Jacques Schaeck (1811-1894), serrurier en voitures, demeurant 5 rue de la Bienfaisance [VIIIe], devint carrossier du roi Louis-Philippe, fit fortune et acheta le château du Haut à Geudertheim.  

Ne pouvant répondre à toutes les commandes pressantes des libraires, les débuts furent difficiles, mais Jean Engel inventa ou perfectionna de nombreuses machines pour la reliure de série, ce qui lui vaut le titre de « père de la reliure industrielle ». 

In John Andrews Arnett. Bibliopegia ; or, the Art of bookbinding. London, R. Groombridge, 1835, front.


En 1842, il fit venir de Londres, une nouvelle presse à dorer, que la maison Sherwin, Cope & Co avait construite dix ans auparavant et à laquelle elle avait donné le nom de « Imperial Arming Press » : tout en ne tirant que des plaques de petites dimensions, elle rendit pourtant les plus grands services.

Engel et Schaeck, rue Suger (1845-1854)


Encouragements de la jeunesse. Paris, Vve Louis Janet, s. d.

 

En 1845, Jean Engel et son beau-frère Michel [II] Schaeck (1810-1890) s’associèrent et s’installèrent au 20 [22 à partir de 1849] rue Suger [rue du Cimetière-Saint-André-des-Arts avant 1844, VIe], où Schaeck s’était établi l’année précédente. 



Ils firent graver de superbes fers à dorer spéciaux pour la reliure de Le Juif errant, par Eugène Süe. Édition illustrée par Gavarni (Paris, Paulin, 1845, 4 vol. in-8) : ces gravures donnent d’un côté de la couverture du livre les types des membres de la famille Rennepont, entourés de guirlandes de fleurs ; au revers, ressortent, au milieu de plantes vénéneuses, les sinistres figures qu’on a vu paraître dans l’ouvrage ; enfin, au dos, le type du Juif errant.

En 1847, Jean Engel fit construire le premier laminoir approprié à la reliure : il s’empressa d’en faire part à Antoine Lenègre (1818-1867), alors au 11 bis rue Saint-Germain-des-Prés [partie de la rue Bonaparte, VIe], qui s’était installé en 1840 au 11 rue Furstemberg [sic ; on devrait écrire Fürstenberg, VIe], qui le mit en pratique.

Voyages de Gulliver, par Swift. Paris, Garnier Frères, 1852


L’établissement prit, d’année en année, plus d’importance. 

Etau à endosser


C’est à Jean Engel qu’on doit l’étau à endosser, dont le premier spécimen fut construit pour lui, en 1853, par Jean-Baptiste Van de Weghe (° 1819), mécanicien, 27 rue Saint-Jacques [Ve], élève du constructeur de machines Bernard Steinmetz (1812-1890). En 1854, Jean Engel fit transformer sa presse à dorer avec des pièces venues de Londres, remplaçant le barreau à bras par un système rotatif, actionné par un lourd volant, commandé par une manivelle : l’ensemble constituait ce qu’on a désigné depuis sous le nom de « balancier à genouillère ».

Engel et Schaeck, rue des Marais-Saint-Germain (1855-1862)

18 rue Visconti, par Atget (1910)

 

En 1855, les ateliers Engel-Schaeck, qui occupaient alors une vingtaine d’ouvriers, furent transportés 18 rue des Marais-Saint-Germain [rue Visconti depuis 1864, VIe]. À l’Exposition universelle de 1855, Jean Engel fit l’acquisition d’un rouleau à endosser, inventé par Sanborn & Carter, de Boston [États-Unis], et d’une machine à rogner perfectionnée et appropriée aux besoins de la reliure, construite par Laurent Poirier, mécanicien, 33 rue du Faubourg-Saint-Martin [Xe].

1860
                                                                                                

Bientôt, la presque totalité de l’immeuble occupé fut transformée pour les besoins de l’établissement : Jean Engel en devint propriétaire le 26 juillet 1860.


 
1862. Photographies BnF

Émile Bosquet a prétendu, dans La Reliure (Paris, Imprimerie générale Lahure, 1894, p. 37), que Schaeck se retira des affaires « vers la fin de l’année 1851 » : l’Annuaire de la librairie, de l’imprimerie, de la papeterie (Paris, Cercle de la librairie, de l’imprimerie, de la papeterie, 1860, p. 420) et l’Annuaire-Almanach du commerce […] ou Almanach des 500,000 adresses (Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1862, p. 253) citent toujours les deux associés.

Engel, rue du Cherche-Midi (1863-1870)


 

En effet, Schaeck ne se retira des affaires qu’en 1863, quand Jean Engel voulut s’éloigner du centre, les locaux de la rue des Marais-Saint-Germain étant devenus insuffisants : il acheta un vaste terrain, à l’extrémité de la rue du Cherche-Midi [VIe], au n° 91, sur lequel il fit construire un atelier complet. Il y installa une machine à vapeur, la première en France qui fut employée à la reliure :

Façade des ateliers Engel, 91 rue du Cherche Midi.
 In Exposition de la librairie françaisegroupes 17 et 18. Saint-Louis, 1904


 

« Dans une seule et immense salle bien éclairée, entourée d’une galerie supérieure et traversée par un pont volant, toutes les opérations de la reliure sont réunies sous la surveillance de divers contre-maîtres et sous la direction du maître qui, d’un coup d’œil, peut inspecter l’ensemble des travaux.

Les bras de l’ouvrier étant devenus insuffisants pour la prompte livraison des travaux commandés simultanément à certaines époques de l’année, un moteur à vapeur de la force de quatre chevaux communique le mouvement à diverses machines ingénieuses. C’est ainsi que le livre est successivement battu, rogné, grecqué, endossé, doré et gauffré [sic] sans le moindre effort et avec une précision toute mécanique.

De cette organisation nouvelle il résulte une telle rapidité d’exécution, que mille exemplaires d’un ouvrage nouveau en un volume grand in-8 peuvent être reliés, dorés et livrés à l’éditeur au bout d’une semaine, ce qui présente un grand avantage, notamment pour les livres d’étrennes dont la publication est urgente et dont l’impression n’est quelquefois terminée que dans les derniers mois de l’année. »

(J. T. [Jules Tardieu]. Chronique du Journal général de l’imprimerie et de la librairie. Paris, Cercle de la librairie, de l’imprimerie et de la papeterie, N° 42, 17 octobre 1863, p. 175)

Jean Engel y adjoignit bientôt deux presses hydrauliques. De 1864 à 1867, il fut agent-commissionnaire à titre gracieux de la Société Franklin pour la propagation des Bibliothèques populaires en France, pendant la présidence du député Jules Simon (1814-1896). 

Salle du Conseil du Cercle de la Librairie


De 1865 à 1872, il fut membre du Comité judiciaire et du Conseil d’administration du Cercle de la librairie. De 1868 à 1870, il fut président deux fois élu de la Chambre syndicale des relieurs, doreurs sur cuir et sur tranche, expert adjoint de la Commission des valeurs en douane et arbitre expert au Tribunal de commerce de la Seine.

En 1866, il fit construire la première cisaille circulaire pour couper le carton, ainsi qu’une machine à biseauter.

1866

 

Considérant que la critique est indispensable au perfectionnement, Victor-Pierre Wynants (1831-1906), relieur-doreur chez Pierre Chevannes (1830-1899), dit « Amand », 12 rue de l’Ancienne Comédie [VIe], délégué élu des ouvriers doreurs sur cuir à l’Exposition Universelle de Paris en 1867, et membre de la Commission ouvrière fondée à cette occasion, fut très sévère, comme à son habitude :

Exposition de 1867. Délégation des ouvriers relieurs. Paris, 1869-1875, 2e partie, p. 188

 

« La spécialité de cette maison est la reliure de commerce proprement dite ; aussi sa vitrine ne contient-elle que des spécimens de livres destinés à la vente des libraires, aux époques des distributions de prix, du jour de l’an, et des volumes vendus tout reliés à bon marché.

L’exposition de cette maison est surtout remarquable par ses dorures au balancier, dans lesquelles elle excelle.

Jusque alors les Anglais, qui avaient créé ce genre, étaient considérés comme supérieurs à nous pour cette partie du travail. Cette fois, ils sont dépassés. A la bonne impression des plaques, à la solidité de l’exécution, que l’on a toujours admirée chez nous, M. Engel a su joindre la délicatesse dans le dessin, en même temps que la richesse et le goût français dans la composition, ce qui fait sa supériorité.

Quant à la reliure, elle a un cachet de propreté qui flatte l’œil ; mais de solidité réelle, il ne faut pas compter. Le corps d’ouvrage est bien traité, mais n’a pas eu tous les soins voulus pour être solide. Aucun de ces volumes n’a été mis en paquet à l’endossure, ni frotté. C’est la tendance de toutes les grandes maisons de négliger cette façon. C’est plus expéditif, et, par conséquent, plus économique ; mais les personnes qui aiment la solidité seront assurément de notre avis, en n’acceptant pas cette façon de faire.

Comme il ne s’agit ici que de reliures de commerce, nous passerons sur les défauts qui ne sont qu’accidentels ; mais nous devons, toutefois, relever les plus saillants, et surtout ceux qui sont généraux.

Les cartonnages dits à la Bradel (aussi emboîtages) sont élégants et faits avec soin. Les cartonnages classiques, les basanes pleines racines et jaspées ont très bonne apparence comme coup d’œil ; mais les cartes sont collées sur le dos, ce qui empêche l’ouverture. Nous ne comprendrons jamais que l’on sacrifie l’utile à l’apparence.

La Vie de la Vierge Marie, in-folio chagrin bleu azuline, montée entièrement, texte et chromo, sur onglets de toile. Les onglets sont collés sur le recto du feuillet, c’est-à-dire sur le côté le plus apparent à l’œil. Le collage au verso n’a rien de plus mauvais, et a l’avantage de ne pas salir la face de la gravure ou de la feuille de texte.

L’endossure et la rognure sont bien soignées. La couvrure pèche par son apprêture, défaut général de la maison.

Le plat est orné d’une dentelle dont le caractère d’originalité est que, au lieu de se terminer en onglet, comme généralement toutes les dentelles, elle est sans interruption, les coins étant arrondis. Comme coup de fer, bon aplomb, bonne chaleur, bon brillant, mais il est regrettable que la dorure ne soit pas nettoyée parfaitement ; cela lui fait perdre un peu de son effet. La dorure du dos n’est pas en rapport avec le plat.

Comme M. Parizot, cette maison, qui a pour le moins trois doreurs à la main dans ses ateliers, a fait faire la seule pièce capitale dans ce genre hors de chez elle. (Doré par Froment.)

Nice et Savoie, in-folio. A ce volume, les onglets sont montés sur le verso ; mais, en revanche, les planches sont mal margées. L’endossure et la rognure sont bien faites. La dorure sur tranche est plucheuse.

Les Emaux de Petitot [en bleu]


Les Emaux de Petitot, in-4°, pleine reliure chagrin rouge, tranche marbrée dorée, les onglets sont encore collés sur le recto ; le corps d’ouvrage est bon ; la marbrure ne se voit pas sous l’or, elle a été enlevée presque complètement à la façon qui précède la couchure. Magnifique plaque, imitation consciencieuse, copie d’un plat doré genre Derome, aux initiales royales dans les coins.

Les Œuvres d’Alfred de Musset, in-4°, tête dorée, tranche ébarbée ; l’endossure est bien faite, mais l’ébarbure a été négligée ; la tête est bien dorée, les coups de la parure sont trop visibles, les nerfs ne sont pas sur les ficelles. Pour du commerce, cela pourrait passer ; pour de l’exposition, non !



Un Album-spécimen d’ornements typographiques de Deriez, fondeur, in-folio, pleine reliure chagrin rouge. Ce volume a été surjeté pour être cousu, et le dos est cassé. Cet Album est d’usage. N’aurait-il pas été raisonnable de le monter sur onglets, d’abord pour la fatigue qu’il est appelé à supporter, et puis pour qu’il y ait harmonie avec la richesse du travail extérieur ? Le bruni de la dorure sur tranche est rayé, la tranche est blanche par la peluche, que l’on n’a pas eu la précaution d’enlever.

La dorure extérieure est faite au balancier et mérite une mention spéciale, tout en accordant à ce travail dans cette maison des éloges mérités. La plaque a été préparée dans les ateliers de M. Deriez même et par ses procédés ; elle est en la même matière que les caractères et les attributs servant à la typographie. Avec des plaques de cette composition, plomb et régule, on ne pourrait remplacer le cuivre, car le fort degré de chaleur pour les tirages en cuivre, joint au foulage assez fort nécessité pour les impressions sur la toile aurait bien vite écrasé la matière ; mais pour un tirage sur la peau, et surtout en or, l’on pourrait en quelque sorte un peu s’en servir ; celle-ci, du reste, se prête merveilleusement au tirage en or sur la peau. En effet, les ornements si fins qui la composent, ces déliés en traits de plume, la roulette qui sert pour ainsi dire de cadre, ont quelque chose de si doux à l’œil que la dorure à la main la mieux faite ne saurait surpasser.

L’exécution des plats de ce volume est parfaite, l’or est brillant, rien n’est manqué, et l’examen le plus soutenu n’a rien à demander de plus pour un travail purement mécanique, il est vrai, mais où néanmoins surgit dans tout son éclat les soins et l’intelligence du doreur au balancier.

Nous pourrions offrir encore, comme argument contre les détracteurs du travail au balancier, le grand Atlas de Dufour. La disposition de la vitrine ne nous permet pas de retirer ce volume de l’endroit où on l’a placé, avec quelques autres, que nous regrettons de ne pouvoir examiner à notre aise ; mais, tel que nous le pouvons voir, il peut, à notre avis et avec avantage, servir de point de comparaison entre les travaux des maisons qui concourent dans cette spécialité et ceux exécutés à la main : « L’ennui, dit-on, naquit de l’uniformité. » Mais entre régularité et uniformité, la distance est immense, quand le résultat obtenu par la presse est aussi satisfaisant que celui dont nous avons les échantillons sous les yeux, il serait insensé de ne pas se ranger du côté de l’avantage qu’il doit, qu’il peut procurer et qu’il procure en effet par la rapidité d’exécution, et du bon marché que donne naturellement cette facilité de faire vite et bien.

1862


Les plaques de Daphnis et Chloé, les Amours de Psyché et de Cupidon, les Contes de Perrault, le Sabot de Noël, plaques froides et or, et beaucoup d’autres, toutes tirées par M. Eugène de la Courcelle, ainsi que celles dont nous avons parlé plus haut, font honneur à cet ouvrier, qui a fait preuve d’habileté en montrant quel parti on peut tirer d’un matériel intelligemment dirigé.

Les cartonnages emboîtages : Mademoiselle Lilli, toile gaufrée, plaque dentelle, ont un sérieux inconvénient ; les cartons sont à biseaux, nécessairement très forts et, par conséquent, trop lourds dans les mains d’un jeune enfant.


DEMI-RELIURES CHAGRIN ET VEAU

 

Les demi-reliures veau antique, pièces rouges et vertes, cinq nerfs, ne peuvent satisfaire un amateur ; les titres ne sont généralement pas compris. Dans la première pièce, le doreur a mis “ collection des classiques français ” et, dans la seconde pièce, le nom d’auteur, la tomaison générale, la matière du volume et sa tomaison particulière ; tandis qu’il y était, il aurait pu y mettre aussi l’édition, le millésime, et la pièce aurait été, de cette façon, archicomplète [sic]. Il était plus convenable de mettre dans la première pièce : Classiques français (collection sous-entendue), un trait, le nom d’auteur et la tomaison générale, s’il y avait lieu ; dans la seconde, la matière et la tomaison, cela aurait suffi.

Non-seulement, la seconde pièce est surchargée, mais le nom d’auteur y est mis en petit in-4°, tandis que la matière varie de l’in-8° grand papier à l’in-12 ; avec cela, souvent deux tomaisons, la générale et la particulière, le tout dans un encadrement d’in-8°, dont le dos est à cinq nerfs, par conséquent très étroit.

 Jugez de l’effet !...

Le nom de l’auteur peut dominer quand il est mis comme titre général ; mais la matière du volume, lorsqu’elle est mise dans la seconde pièce, est considérée comme discours et ne comporte pas plusieurs composteurs ni surtout l’emploi de gros caractères ; il est inutile de faire une affiche qui puisse être lue à un hectomètre de la bibliothèque, à moins cependant que l’on travaille pour un myope. Pourquoi aussi faire dominer le mot complètes, qui, dans le titre, a moins d’importance que le mot Œuvres ? Il faut éviter de sacrifier la logique pour faire des lignes à perspectives.

Les tomes généraux et de matières peuvent être mis avec avantage en chiffres romains, surtout si le dos est à cinq nerfs et affecte l’antique.

Pour les dos à cinq nerfs, lorsque l’on a un volume seul, sans nom d’auteur, et que par conséquent la seconde pièce se trouve complètement libre, on peut y mettre le nom, la date ou le lieu de l’édition pour la remplir ; mais, dans aucun cas contraire, comme il est dit à la maison Hachette, cela se met dans la queue.

Toute cette dorure à la main et ces titres sont bien poussés ; les encadrements de certains, au balancier ou remplis à la main, sont d’un goût un peu douteux.

Il est vrai que cette maison cherche le bon marché, mais si les doreurs à la main connaissaient les finesses de la dorure, en tant que titres, le travail, sans coûter plus cher, serait beaucoup mieux ; ce ne serait qu’une dépense d’intelligence, de goût et de savoir.

L’endossure des demi-reliures est bonne, mais la rognure n’est pas parfaite, surtout à ceux en veau, les chasses sont irrégulières. La couvrure pèche par l’apprêture ; c’est un défaut général à toute cette exposition. Les coins du carton, près la coiffe, sont coupés à angle droit ; ce défaut est commun à tous les volumes de cette vitrine. Cela est vilain pour des demi-reliures, mais encore plus laid pour des reliures pleines ; la coiffe est naturellement difficile à faire et n’est jamais bien, la bordure intérieure se trouve ébréchée ainsi que le plat extérieur. Pour bien faire, le coin doit être coupé un peu en long, dans le sens de la longueur du carton, et en biais dans le sens de l’épaisseur, de façon que la partie intérieure du carton soit très peu atteinte et que le vide intérieur puisse être rempli par le repli que la peau fait à la coiffe.

Plusieurs volumes ont des tranchefiles à rubans, couleurs carnavalesques.

La maison n’emploie que des spécialistes ; comment se fait-il qu’ils le soient si peu ?

M. Engel père est le fondateur de cette maison, qui n’a pas de semblable jusqu’alors à Paris pour son nombreux personnel, son outillage, son agencement, l’emploi de la vapeur comme force motrice et les vastes proportions de ses ateliers, en 1867.

Son travail exposé se ressent du but pour lequel il a été fait, car le courant du travail livré au commerce n’atteint pas toujours le bien fait de son exposition.

 

COOPÉRATEURS DE LA MAISON ENGEL ET FILS

Mise en train, ENGEL et GRUGER ;

Endossure, FAURE (les volumes ont tous été frottés, les reliés) ;

Rognure, FAURE et COZIE ;

Doreur sur tranches, Armand POUILLET ;

Couvrure, Jean SICHLER ;

Parure, KIESEWETTER, BUHNER ;

Dorure sur cuirs, Jules GARNON ;

Finissure, SICHLER ;

Dorure sur cuirs, maroquin plein, FROMENT ;

Dorure au balancier, E. DE LA COURCELLE. »

([E.-V. [Eugène Varlin (1839-1871)] et V. Wynants]. Exposition de 1867. Délégation des ouvriers relieurs. Paris, 1869-1875, 2e partie, p. 37-45)

Fondateur de l’hebdomadaire La Libre pensée, Louis Asseline (1829-1878) ne fut guère plus pondéré dans ses critiques :

1866

 

« L’exposition de M. Engel est très-mêlée. J’ai remarqué un livre (Botanique à ma fille) [i.e. Botanique de ma fille] dont les dorures sont d’une invention et d’une délicatesse remarquables ; mais à côté il y a des livres surchargés, bariolés, comme cet exemplaire de l’Amour et Psyché qu’un véritable amateur n’admettra jamais dans sa bibliothèque. Il serait injuste d’oublier quelques volumes dont les dos, dorés à la presse, sont bien exécutés. »

(L. Asseline. L'Exposition universelle de 1867 illustrée, 42e livraison, 26 septembre 1867, p. 190)

Jean Engel fut enfin naturalisé français, par décret impérial du 1er septembre 1868.

Le 21 septembre 1871, à Saint-Maurice [Val-de-Marne], son fils Michel Engel (1844-1916), épousa sa nièce, Anna-Eugénie Delimoges (1854-1923), en présence de Michel Schaeck et des libraires Auguste Garnier (1812-1887) et Émile Baillière (1831-1920). Le couple aura six enfants : Michel-Jean-Jacques-Paul-Urbain, né à Paris [VIe], le 7 novembre 1872 ; Henri-Marc, né à Paris [VIe], le 9 décembre 1873 ; Jeanne-Constance-Berthe, née à Paris [VIe], le 28 octobre 1875 ; Geneviève-Thérèse, née à Paris [VIe], le 6 juillet 1877 ; Lucienne-Éva-Catherine-Émilie-Madeleine, née à Meudon [Hauts-de-Seine], le 20 juillet 1884 ; Jacques-Michel, né à Paris [VIe], le 14 janvier 1886.  

Engel et Fils, rue du Cherche-Midi (1871-1892)

La même année 1871, Jean Engel céda à son fils la direction nominale et financière de l’établissement, mais il ne se désintéressa jamais de la marche des affaires, qu’il surveilla et guida jusqu’à son dernier jour.

Michel Engel fit le voyage de Londres pour y acquérir une nouvelle presse à balancier pour les tirages en noir-typo, utilisable seulement pour le tirage des couvertures : c’est alors que son père fit construire des balanciers à double effet.

De 1872 à 1889, Jean Engel fut membre du bureau de la Société de secours mutuels du quartier Notre-Dame-des-Champ s[VIe]. De 1876 à 1878, il fut membre des Comités d’admission, d’installation et du jury des récompenses, pour l’Exposition internationale de 1878. Il fut juré élu par les exposants pour l’Exposition des arts décoratifs, en 1882, et pour l’Exposition des sciences et arts industriels, en 1886, au Palais de l’industrie. 




De 1886 à 1889, il fut membre patron du bureau de l’Association philotechnique, fondée en 1848, où il fut professeur technique de reliure, les cours ayant lieu 21 rue de Fleurus [VIe], à ses frais, deux fois par semaine. Il fut juré nommé par l’administration pour l’Exposition des arts décoratifs au Palais de l’industrie, en 1887, et pour l’Exposition internationale de Bruxelles, en 1888. Il fut membre des Comités d’admission, d’installation et du jury des récompenses, pour l’Exposition internationale du centenaire, de 1886 à 1889.

1876

 
1877

Les plus hautes récompenses lui ont été dévolues aux nombreuses expositions auxquelles il a pris part : médaille de bronze en 1867, exposant pour la première fois à l’Exposition universelle à Paris ; médaille d’or en 1869, à l’Exposition universelle à Amsterdam ; première médaille [la plus haute récompense] en 1881, à l’Exposition universelle à Melbourne ; médaille d’or en 1883, à l’Exposition universelle à Amsterdam ; diplôme d’honneur en 1884, à l’Exposition universelle à Nice ; diplôme d’honneur en 1885, à l’Exposition universelle à Anvers ; hors concours [membre du jury] à l’Exposition universelle de Paris (1878), à l’Exposition des arts décoratifs au Palais de l’industrie (1882), à l’Exposition des sciences et arts industriels au Palais de l’industrie (1886), à l’Exposition des arts décoratifs au Palais de l’industrie (1887), à l’Exposition internationale de Bruxelles (1888) et à l’Exposition internationale du centenaire (1889).

Revue des Deux Mondes. Supplément au numéro du 15 février 1893

 

« L’établissement de MM. ENGEL et fils, relieurs, a été fondé en 1838 par M. Engel père.

Cette maison, qui occupe un personnel de 450 ouvriers et atteint un chiffre d’affaires de 1,100,000 francs environ, a su, l’une des premières en France, créer la branche industrielle de la reliure et rivaliser heureusement avec l’Angleterre et l’Amérique pour la production rapide et économique des cartonnages d’étrennes, de classe et de prix, sans négliger toutefois la reliure de bibliothèque, d’amateur et de luxe.

MM. Engel et fils possèdent trois ateliers principaux différents, affectés chacun à une spécialité de la reliure : rue du Cherche-Midi [91] s’effectuent les grands travaux pour éditeurs et imprimeurs ; l’établissement de la rue de Vaugirard [120] est consacré à l’exécution des travaux courants pour libraires, détaillants et commissionnaires ; enfin la maison de la rue Dauphine [16] se spécialise dans la reliure de bibliothèque et d’amateur.

Cette maison a déjà obtenu les récompenses suivantes aux diverses Expositions : Paris, 1867, médaille de bronze ; Anvers, 1885, diplôme d’honneur.

M. Engel père a été six fois membre du jury aux diverses Expositions depuis les douze dernières années, dont deux fois aux Expositions universelles de Paris (1878 et 1889). Il a été honoré en 1883 de la croix de chevalier du Nicham Iftikar [sic], et en 1885 de la croix de l’ordre royal du Cambodge.

La maison Engel a résolument abandonné toute compétition sur le terrain de la reliure artistique, si brillamment représentée par quelques-uns de ses confrères. Mais sur le terrain industriel et commercial, sa supériorité n’est pas à contester. Les modèles qu’elle a créés sont imités ou même reproduits partout, aussi bien à l’étranger qu’en France.

La description des diverses reliures qu’elle a exposées nous entraînerait trop loin, vu la multiplicité des articles. Citons cependant : ses tirages en métal et couleur qui ont été très avantageusement appréciés et dont nous avons trouvé des spécimens sur la couverture des ouvrages tels que : Suze et la Perse, les deux œuvres célèbres de M. et Mme Dieulafoy magistralement éditées par la maison Hachette ; les contes de Paul Arène ; l’Anthologie des poètes français et les autres publications d’étrennes de la librairie Alphonse Lemerre ; 



les Environs de Paris, de la librairie Quentin, etc.

Dans les modèles plus simples où l’emploi de l’or est harmonieusement souligné par de simples filets à froid, nous signalerons la série des volumes in-4° de la librairie Firmin-Didot et Cie : 




Le XVIIe siècle, Le XVIIIe siècle, Le Directoire, de Paul Lacroix, Les modes et costumes de Marie-Antoinette, etc.

Nous ne saurions passer sous silence, dans un ordre de travaux plus modestes, ce petit Guide bleu du Figaro, si coquet, si recherché, qui s’est relié à 200,000 exemplaires pendant la durée de l’Exposition. »

(Choquet. Exposition universelle internationale de 1889 à Paris. Rapports du jury international. Paris, Imprimerie nationale, 1891, p. 162-163)

1883

 

« Aujourd’hui comme à l’origine, l’objectif spécial de la maison est la fabrication rapide, économique et élégante, de reliures à grand nombre pour Éditeurs, Imprimeurs, Commissionnaires, Exportateurs. Elle occupe dans ses trois établissements un personnel de 450 à 500 ouvriers, ouvrières et apprentis des deux sexes ; son chiffre d’affaires atteint 1,200,000 francs par an ; son matériel comporte 26 presses à dorer et à imprimer, 5 presses hydrauliques, 12 coupe-papier, 15 étaux et rouleaux à endosser, 10 presses à percussion. Les dépenses de dessin et de gravure, nécessitées par la confection des couvertures de livres pour les prix et les étrennes, atteignent une moyenne annuelle de 25,000 francs. La valeur de ce matériel dépassait un million au 1er janvier dernier. 

Dans la maison Engel se sont successivement fondus les anciens établissements de reliure de MM. Schaeck, Vigneau, Pasquier, Mouveau et Levesque, Smeers et Kaufmann. »

(Le Cercle de la Librairie de Paris à l’Exposition du Livre. Catalogue. Paris, juillet 1890, p. 89-90)

1890

 

Ève-Catherine Schaeck décéda à Sèvres [Hauts-de-Seine], 21 rue des Binelles, le 20 mai 1890.

Par suite de la mort du relieur Germain-Frédéric-Guillaume Gayler, le 12 novembre 1890, à l’âge de 73 ans, époux de Alexandrine Hirou, directeur de la succursale de la ue Dauphine [anciennes maisons Isidore Smeers et Kaufmann réunies], consacrée à la reliure d’amateur et de luxe, cet atelier fut fermé le 1er janvier 1891.

En récompense des services rendus à l’art de la reliure, Jean Engel reçut la croix de chevalier de la Légion d’honneur, le 11 juillet 1891.

Le Monde illustré, 23 juillet 1892, p. 52. Photographie BnF


Il se rendait tous les ans à Saint-Gervais-les-Bains [Haute-Savoie], dont l’eau de source est riche en minéraux et oligo-éléments bénéfiques pour l’arthrose : c’est là que le surprit la catastrophe du 12 juillet 1892, vers 1 heure et demie du matin. Son corps, retrouvé au milieu des ruines amoncelées sous le limon charrié par les eaux, portant une chemise marquée « J. E. », fut rapporté à Paris : ses obsèques eurent lieu le lundi 18 juillet. Il fut inhumé au cimetière du Montparnasse.

« Cette maison, l’une des plus anciennes et des plus importantes qui existent, a été fondée en 1838 par Jean Engel père. Elle occupe actuellement plus de 500 ouvriers, répartis en deux usines. – Ces deux usines sont entièrement indépendantes l’une de l’autre, c’est-à-dire que tout travail entrepris par une usine y est achevé complètement ; chacune d’elles est mue par la vapeur et éclairée par l’électricité, qu’elle produit. Rue du Cherche-Midi, deux machines à vapeur, d’environ 100 chevaux, transmettent électriquement la force aux machines-outils. Ce dernier atelier, entièrement détruit par un incendie le 20 novembre 1901, reconstruit et réinstallé, a été remis en marche moins d’un an après le sinistre ; il est spécialement organisé en vue des gros travaux de reliure, qui sont une des spécialités de la maison.

C’est le plus récent et le mieux compris des grands établissements similaires européens, tant au point de vue de l’organisation du travail qu’au point de vue de l’hygiène. L’air et la lumière y sont répandus à flots ; en hiver, des conduits de vapeur y maintiennent, par les plus grands froids, une température de 16 degrés.

Le grand vaisseau central occupe un rectangle de 40 mètres sur 30 mètres, soit 1 200 mètres carrés de plain-pied ; le sous-sol, qui a 4 mètres de hauteur, occupe la même surface ; deux galeries superposées donnent ensemble un développement de 1 200 autres mètres carrés, soit au total 3 600 mètres carrés d’ateliers et de magasins réunis sous la même toiture, outre les cours et dépendances, écuries, remises, moteurs, groupes électrogènes.

Les deux usines réunies possèdent 24 presses à dorer mécaniques ; 10 presses à couleurs, 26 machines à coudre au fil de lin, 8 machines à coudre au fil métallique, 17 massiquots, 13 presses hydrauliques, etc. La production atteint, à certaines époques de l’année, le chiffre de 800 000 cahiers cousus et reliés par jour.

Un atelier de gravure sur cuivre et un dessinateur, installés dans la maison, entretiennent et augmentent sans cesse le matériel de fers à dorer amassés depuis plus de soixante ans. On trouve encore dans la maison un atelier de mécanique chargé de l’entretien des trois moteurs à vapeur, des dynamos et des machines-outils, et aussi un atelier de menuiserie. »

(« Michel Engel, relieur-doreur ». In Exposition de la librairie française, groupes 17 et 18. Saint-Louis, 1904)

Les établissements Engel fonctionnèrent rue du Cherche Midi jusque vers 1925, puis déménagèrent à Malakoff [Hauts-de-Seine], 148 route de Châtillon.

 

 

 




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