Clocher de l'église Sainte-Geneviève de Marolles |
Originaires de Marolles [Oise], les Fasquelle passèrent à Antilly [Oise] en 1822, à l’occasion d’un mariage, puis à Paris vers 1850.
Le 4 avril 1868 à Paris [IXe], Joséphine Charlot, née à Paris le 5 mars 1834, épousa Léon-Alfred Fasquelle, né le 14 janvier 1835 à Antilly [Oise], architecte. Ils demeuraient tous deux 52 rue des Martyrs et légitimèrent à l’occasion de leur mariage leurs deux enfants nés à Paris : Alfred-Joseph, né le 23 juillet 1855, et Noël-Eugène, né le 28 mars 1863 rue Ambroise Paré [Xe], alors que sa mère, journalière, habitait 4 rue Mazagran.
Joséphine Charlot décéda le 13 juillet 1878 à Asnières-sur-Seine [Hauts-de-Seine], 14 rue Franklin. Devenu veuf, Léon-Alfred Fasquelle épousa, le 6 juillet 1885 à Paris [IXe], Denise-Catherine Holtz, née à Gerbéviller [Meurthe-et-Moselle] le 25 mars 1842, fille d’un tailleur de pierres ; elle décéda à Asnières-sur-Seine le 1ermai 1900.
45 rue de Courcelles, Paris VIII |
En 1906, après quarante ans de pratique professionnelle remarquée, Léon-Alfred Fasquelle fut reçu chevalier de la Légion d’honneur par son fils Noël-Eugène Fasquelle. Il mourut en son domicile, 92 boulevard Haussmann, le 24 avril 1917.
Bachelier ès-sciences, Noël-Eugène Fasquelle débuta sa vie professionnelle comme commis d’un agent de change, Tavernier, 7 rue Drouot [IXe], pendant quelques mois.
Pendant ce temps, l’éditeur Georges Charpentier, 13 rue de Grenelle-Saint-Germain [rue de Grenelle, VIIe], qui se trouvait dans une situation financière précaire depuis 1879, cédait la moitié de sa maison à Charles Marpon et Ernest Flammarion, éditeurs 26 rue Racine [VIe], constituant une société en nom collectif, le 11 mai 1883 : G. Charpentier et Cie, éditeurs-libraires. Face à son endettement chronique, Charpentier dut céder à plusieurs reprises des parts du capital à ses associés et, en 1884, Marpon et Flammarion devinrent propriétaires des trois quarts de la société.
Dès 1884, Noël-Eugène Fasquelle entra à la « Bibliothèque Charpentier » [nom qui désigne l’une des collections de la Librairie Charpentier] pour 150 francs par mois et en devint le secrétaire. En 1886, il vécut le déménagement de la librairie 11 rue de Grenelle.
L’année suivante, le 24 octobre 1887, Noël-Eugène Fasquelle, qui demeurait toujours chez son père à Asnières-sur-Seine, épousa Jeanne-Léonie-Marie Marpon : née à Paris [XIe] le 29 janvier 1868, elle demeurait chez ses parents, l’éditeur Charles Marpon et Marie-Ernestine Poux, 24 boulevard Poissonnière [IXe]. Les témoins du mariage civil furent Georges Charpentier, éditeur, 11 rue de Grenelle ; Arsène Houssaye, homme de lettres, 49 avenue de Friedland ; Ernest Flammarion, éditeur, 26 rue Racine ; Arsène Pichery, contrôleur général de l’Opéra, 19 bis passage de l’Opéra.
Le peintre et graveur Félix Oudart fut chargé de réaliser des billets fleuris d’œillets et d’églantines, tirés en bleu et en bistre, pour faire part du mariage, qui eut lieu à l’église Sainte-Clotilde [VIIe, basilique en 1897]. Dans l’assistance considérable, on remarqua, outre les témoins : Théodore de Banville, René d’Hubert, Armand Silvestre, Catulle Mendès, Hector Malot, Camille Cartillier, Ferdinand Fabre, Paul Arène, René Maizeroy, Jehan Soudan, Alexis Bouvier, le Docteur Labarthe, Abel Hermant, le baron de Vaux, Paul Ginisty, Fernand Xau, Camille Flammarion, Georges Duval, Théodore Cahn, Silvestre, directeur de L’Art français.
Tout le Paris littéraire et artistique assista à la soirée dansante donnée au Grand Hôtel, 12 boulevard des Capucines [InterContinental, 2 rue Scribe, IXe]. Au dîner, Étienne Carjat a lu un épithalame dédié aux jeunes époux.
Eugène Fasquelle et Jeanne Marpon auront trois enfants : Marie, dite « Mariette », née le 4 novembre 1888, et Renée-Charlotte-Denise, née le 10 novembre 1889, 133 boulevard Saint-Germain [VIe] ; Charles-Jean-Octave, né le 9 juillet 1897, 6 avenue de l’Opéra [Ier].
Chaque été, ils allaient à Beuzeval-Houlgate [Houlgate, Calvados], dans leur villa « Les Clématites », rue du Pré Landry.
Après la mort de Charles Marpon, arrivée le 25 juin 1890, Ernest Flammarion céda à Eugène Fasquelle l’intégralité des droits de la Société Marpon et Flammarion dans la Société G. Charpentier et Cie, soit 85 % du capital.
Le 20 août, la Société G. Charpentier et Cie fut dissoute et une nouvelle Société fut formée entre Georges Charpentier et Eugène Fasquelle, devenus seuls propriétaires de cette librairie, qui conserva la marque de « Bibliothèque Charpentier », sous la raison sociale G. Charpentier & E. Fasquelle.
Photographie Librairie Koegui |
Les collections « Bibliothèque Charpentier », lancée en 1838 par Gervais Charpentier, et la « Petite Bibliothèque Charpentier », apparue en 1876 et illustrée, furent complétées en 1890 par « La Nouvelle Collection », avec couverture illustrée.
Photographie Librairie-galerie Emmanuel Hutin |
Eugène Fasquelle avait fourni à Émile Zola, qui était au catalogue depuis 1872, une documentation sur le monde de la Bourse, pour la rédaction de son ouvrage L’Argent, qui fut publié le 4 mars 1891.
En 1891, Georges Charpentier et Eugène Fasquelle firent paraitre le premier livre de Léon Daudet, Germe et poussière. Trois causeries.
Le 21 juin 1893, Georges Charpentier et Eugène Fasquelle organisèrent en l’honneur de Zola un déjeuner au « Chalet des Iles », au Bois de Boulogne [XVIe], pour fêter l’achèvement de l’ensemble des 20 romans écrits sous le titre générique Les Rougon-Macquart, avec la publication du dernier intitulé LeDocteur Pascal :
Photographie Librairie Le Feu Follet |
« Pour y arriver, il faut traverser le lac en bateau. On débarque sur une pelouse herbue, et, devant soi, sous les arbres, une large tente est dressée qui abrite deux cents couverts. Jusqu’à midi et demi, on continue d’arriver ; chacun s’en va serrer la main du maître qui est là, le dos appuyé à un arbre, aimable et plutôt timide ; le soleil est très chaud, mais sous le feuillage épais, avec la fraîcheur de l’eau toute proche, l’atmosphère se fait délicieuse.
Toutes les têtes sourient, on se sent à l’aise ; MM. Charpentier et Fasquelle se multiplient, et c’est fort gaiement qu’on se met à table, chacun à sa fantaisie, par petits groupements sympathiques. C’est le moment de noter les noms :
C’est, autour de MM. Georges Charpentier et Eugène Fasquelle : Emile Zola et Mme Zola, Mme Georges Charpentier, Mme Georgette Charpentier, M. Alfred Fasquelle père et Mme A. Fasquelle, Mme Eug. Fasquelle, M. et Mme F. Magnard, M. Poincaré, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts ; M. Roujon, directeur des beaux-arts ; M. et Mme Henry Fouquier, M. Stevens, M. Edouard Lockroy, le général Jung et Mme Jung ; puis, disséminés aux tables voisines : […].
C’est M. Georges Charpentier qui, au dessert, se leva le premier […].
M. Mendès lit ensuite un très littéraire et très éloquent discours […] ;
M. Edouard Rod, au nom des lettrés étrangers, demande à “ joindre ses sentiments à ceux qui viennent d’être exprimés pour le maître du roman contemporain qui a contribué si puissamment au rayonnement de la patrie française ”.
M. Tabarant, au nom de la jeune littérature socialiste, porte un toast à l’auteur de Germinal.
On va quitter la table, quand le général Jung, qui se trouve près d’Emile Zola, lève son verre et dit :
“ Mon cher et illustre ami, vous avez fait la Débâcle, j’espère qu’un jour vous nous ferez la Victoire ! ” […].
Un concert est improvisé sous les arbres ; on a placé un piano au milieu du gazon, Yvette Guilbert, Kam-Hill, le chansonnier Jules Jouy chantent quelques chansons ; Clovis Hugues dit des vers. »
(Jules Huret. « Le Banquet Émile Zola ». In Le Figaro, jeudi 22 juin 1893, p. 2)
La « Collection polychrome » apparut chez Charpentier en 1894, avec, pour la première fois, des illustrations en couleur.
Le 10 juin 1896, Eugène Fasquelle, médaille d’or à l’Exposition d’Anvers en 1894, grande médaille d’honneur à l’Exposition internationale d’Amsterdam en 1895 et diplôme d’honneur à l’Exposition internationale de Bordeaux la même année, fut fait chevalier de la Légion d’honneur : ses insignes lui furent remis par Émile Zola. Il sera promu officier le 2 janvier 1903 et commandeur le 18 juillet 1926.
Eugène Fasquelle (15 juin 1925) |
Avec l’aide de la dot de sa femme, Eugène Fasquelle succéda à Charpentier le 1er juillet 1896 :
« Un peu las depuis quelques années déjà, désireux de repos et de paix, Charpentier restait à la tête de sa maison, afin de la conserver pour son fils. Celui-ci était parti l’année dernière pour faire son service militaire. Il devait, au retour, prendre sa place à côté de son père. Et, auprès de celui-ci et de M. Fasquelle, son futur associé et déjà son ami et son guide dans la librairie, il devait apprendre le délicat métier d’éditeur. Charpentier vivait avec ce rêve : transmettre à son fils une maison glorieuse dans l’histoire de la librairie. Cela seul le rattachait à sa maison, était son but.
Brusquement, ce fils, Paul, un beau garçon bien doux et charmant que nous avons tous connu, mourut au régiment. Et Charpentier s’en va, découragé, ne se sentant plus la force de continuer pour lui seul, sans l’aiguillon de la tâche paternelle, le métier difficile entre tous d’éditeur. C’est la douleur paternelle seule qui éloigne de nous Charpentier et, il faut le dire, la sympathie la plus vive, la délicatesse la plus grande, les meilleurs procédés qu’il ait trouvés pour lui permettre de se retirer, furent ceux de son ami, associé, et aujourd’hui successeur Fasquelle. »
(André Maurel. « La Retraite de M. Georges Charpentier ». In Le Figaro, 8 février 1896)
Au début de l’année 1897, la 9eChambre correctionnelle rendit son jugement dans le procès en contrefaçon intenté par Fasquelle au bouquiniste Antoine Laporte, qui avait publié une brochure ultra-naturaliste Zola contre Zola (Paris, A. Laurent Laporte, 1896), tirée seulement pour les souscripteurs, en raison de son caractère érotique.
Le Tribunal jugea que Laporte ne s’était point rendu coupable de contrefaçon, parce que sa brochure n’était qu’une suite de « morceaux choisis », ne donnant qu’une idée approximative et vague de l’œuvre grandiose de Zola. Statuant ensuite sur la demande reconventionnelle de 10.000 francs de dommages-intérêts formée par Laporte contre Fasquelle, pour saisie arbitraire de son opuscule, le Tribunal refusa de lui accorder un centime. Le jugement condamna même, en termes sévères, le procédé « perfide et peu scrupuleux » qui consiste à mettre brutalement sous les yeux des lecteurs des passages plus ou moins érotiques, en vue de discréditer un écrivain.
Photographies BnF |
Au cours de l’affaire Dreyfus, après la publication de ses trois articles dans Le Figaro [« M. Scheurer-Kestner », 25 novembre 1897 ; « Le Syndicat », 1er décembre 1897 ; « Procès-verbal », 5 décembre 1897], Zola publia chez Fasquelle La Lettre à la jeunesse (1897) et La Lettre à la France(1898), avant son « J’Accuse… ! » dans L’Aurore du 13 janvier 1898.
Dr J. C. Mardrus. Le Livre des mille nuits et une nuit. Editions de la Revue Blanche pour les 11 premiers volumes, Fasquelle pour les 5 derniers (Paris, 1899-1904) Photographie Librairie Le Feu Follet |
En 1902, Fasquelle reprit le fonds des Éditions de La Revue blanche, 1 rue Laffitte [IXe], puis 23 boulevard des Italiens [IIe] à partir de 1899, maison d’édition adjointe à la revue, qui publia 140 titres de 1893 à 1902.
Fasquelle garda les principaux auteurs de Charpentier, dont Émile Zola, Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Alfred de Musset, André Theuriet, Ferdinand Fabre, Guy de Maupassant, Edmond et Jules de Goncourt, Henry Céard, Octave Mirbeau, Jules Vallès et J.-K. Huysmans, et publia
Photographie Librairie Koegui |
Edmond Rostand [Cyrano de Bergerac, comédie en cinq actes, en vers, 1898],
Photographie Berwyn Books |
Maurice Maeterlinck [La Sagesse et la Destinée, 1899],
Photographie Librairie Le Feu Follet |
Pierre Louÿs [Les Chansons de Bilitis– traduites du grec -, 1900],
Alfred Jarry [Gestes et opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien– roman néo-scientifique -, suivi de Spéculations, 1911],
Photographie Librairie Le Feu Follet |
Valery Larbaud [Fermina Marquez, 1911],
Jean Rostand [Ignace ou l’écrivain, 1923],
Photographie Librairie Faustroll |
Marcel Pagnol [Pirouettes – roman -, 1932].
Entre 1894 et 1913, Octave Mirbeau publia chez Fasquelle une douzaine d’œuvres.
« Au fil des années, Mirbeau et ses confrères “ placent ” chez Fasquelle divers auteurs provenant des périphéries géographiques ou sociales décrites auparavant. C’est le cas de Maeterlinck, qui publie chez Fasquelle de très nombreuses pièces et œuvres diverses (dont La Vie des abeilles, Le Double Jardin, L’Oiseau bleu, L’Hôte inconnu, etc.). En 1897, c’est le tour de L’Institutrice de province de Léon Frapié (1863-1949), un employé à l’hôtel de ville de Paris. En 1904 et 1906, la maison d’édition imprime deux romans (Marie Donadieu et Croquignole) d’un écrivain particulièrement représentatif de cette catégorie de “ marginaux ” : Charles-Louis Philippe (1874-1909), fils d’un sabotier né dans l’Allier, puis “ monté ” à Paris et progressivement reçu dans les milieux littéraires officiels, grâce essentiellement à Mirbeau, à André Gide et à leurs “ réseaux ” respectifs. Toujours en 1906, un autre auteur exemplaire est accueilli par Fasquelle : Émile Guillaumin (Albert Manceau adjudant). Né dans l’Allier comme Charles-Louis Philippe, Guillaumin (1873-1951) est un métayer ; il n’a pas poussé sa formation scolaire au-delà des cinq années d’école primaire. À la différence de Philippe, l’auteur n’entend quitter ni son village -sinon pour de brefs voyages -, ni son travail : il reste paysan pendant presque toute sa vie. Ce qui ne l’empêche pas de publier différents récits et romans, dont La Vie d’un simple, édité par Stock grâce à l’appui de Lucien Descaves, reste le plus connu. Avant le déclenchement de la première guerre mondiale, les éditions Fasquelle accueillent encore Marie-Claire de Marguerite Audoux (1910), Jours de famine et de détresse de la Belge d’origine hollandaise Neel Doff (1911) et La Maison blanche de Léon Werth (1913). Une préface du “ chevalier ” accompagne parfois ces publications, ce qui leur confère une plus grande légitimité (c’est le cas de Marie-Claire et de La Maison blanche). »
(Maria Chiara Gnocchi. « Entre coups de cœur et institution : le rôle et l’héritage d’Octave Mirbeau dans l’histoire littéraire de la première moitié du XXe siècle ». In Octave Mirbeau. Passions et anathèmes. Caen, 2007, p. 96-97)
En 1912, Marcel Proust envisagea la publication de son cycle romanesque, À la recherche du temps perdu. Après la parution de quelques extraits dans Le Figaro, il s’adressa en octobre à Fasquelle et en décembre à la Nouvelle Revue Française, dirigée par Gaston Gallimard (1881-1975). Le 15 décembre, le comité de lecture de la NRF décida de renvoyer à Marcel Proust son manuscrit. Même refus le 24 décembre aux éditions Fasquelle, où la note de lecture de Jacques Madeleine [pseudonyme de Jacques Normand (1859-1941)] fut accablante : « Après d’infinies désolations d’être noyé dans d’insondables développements et de crispantes impatiences de ne pouvoir jamais remonter à la surface – on n’a aucune, aucune notion de ce dont il s’agit. »
Edition originale Avec 1913 sur la couverture, et, sur la page de titre, 1914 et une ligne verticale entre les deux dernières lettres du nom de l'éditeur |
Après avoir essuyé un troisième échec chez Paul Ollendorff (1851-1920) en février 1913, l’écrivain s’adressa enfin à Bernard Grasset (1881-1955), pour une publication à compte d’auteur : le premier livre de Marcel Proust, Du côté de chez Swann, parut le 14 novembre 1913.
22 rue de Grenelle, Paris VII (juillet 2020)
En 1951, Charles Fasquelle succéda à son père, qui mourut le 12 février 1952, en son domicile 22 rue de Grenelle. Charles Fasquelle, plus intéressé par le cinéma que par les livres, céda la place à son fils Jean-Claude en 1954. Cinq ans plus tard, les éditions Fasquelle fusionnèrent avec les éditions Grasset. La veuve d’Eugène Fasquelle, Jeanne Marpon, mourut le 21 juin 1960, 22 rue de Grenelle.