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Henri Nicolle (1767-1829), barbiste et ami des Bertin

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Carte de Cassini

Parmi les nombreux libraires et éditeurs que la Normandie a fourni à la capitale, Gabriel-Henri Nicolle est né à Fresquiennes [Seine-Maritime], le 23 mars 1767, descendant d’une famille de laboureurs originaire de Roumare, en pays de Caux. 

Arbre généalogique simplifié des Nicolle


Il était le sixième des neuf enfants de Marie-Françoise Neufville, née à Pôville [Pissy-Pôville depuis 1822] le 4 juin 1734 et décédée à Fresquiennes le 11 messidor An X [30 juin 1802], et de Charles Nicolle, né le 9 février 1730 à Roumare et décédé à Fresquiennes le 1er frimaire An XII [23 novembre 1803] ; ils s’étaient mariés à Pôville le 12 juillet 1757 et tenaient la ferme du château de Nicolas-Louis Romé (1693-1773), officier au régiment de Condé cavalerie.


Maison de Sainte-Barbe
Entrée rue de Reims en 1830

Fils de laboureur aisé, Henri Nicolle put faire d’excellentes études à Paris, dans la célèbre Maison de Sainte-Barbe, dont l’entrée était rue de Reims [Ve, disparue en 1880], fondée le 30 mai 1430, le plus ancien collège de Paris. Il y avait été précédé par son frère aîné, Charles-Dominique Nicolle (1758-1835), devenu en 1782 maître de conférences, puis préfet des études. Henri Nicolle se destinait, comme son frère, à l’instruction publique, lorsque la Révolution renversa ses projets ; le collège Sainte-Barbe fut dissous avec les autres collèges de l’Université.


L’abbé Charles-Dominique Nicolle, précepteur, depuis 1790, du second fils du comte Marie-Gabriel-Florent-Auguste de Choiseul-Gouffier (1752-1817), ambassadeur à Constantinople, ayant refusé le serment imposé aux ecclésiastiques, fut obligé de quitter sa patrie en 1792 : il conduisit son élève chez son père, qu’il suivit ensuite à Saint-Pétersbourg, où il établit un institut pour la jeune noblesse russe.


Resté à Paris, Henri Nicolle concourut à la rédaction de plusieurs journaux.

Il fut propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Journal français, ou Tableau politique et littéraire de Paris, qui parut du 15 novembre 1792 au 2 juin 1793 :  


« La stupeur profonde qui avait brisé la plume de nos écrivains s’est dissipée ; la terreur, cette arme perfide entre les mains des scélérats, s’est émoussée. On peut enfin témoigner hautement l’horreur qu’ont inspirée les effroyables journées des 2 et 3 septembre ; il est permis de vouer à l’exécration de la postérité ce comité des boucheries dit de surveillance ; on peut appeler la vindicte publique sur cette meute de scélérats qui, lâchés dans les départements par la régence tripolitaine de Paris, prêchent partout le carnage et la sédition […]. Arracher le masque de l’hypocrisie à ces individus d’un jour, publicistes par famine, anarchistes par besoin, assassins par tempérament, voilà la tâche honorable et périlleuse que nous nous sommes imposée. » (Prospectus)


Les opinions contre-révolutionnaires qu’il y manifesta le firent incarcérer en janvier 1793, mais la Convention, considérant sa détention comme attentatoire à la liberté de la presse, ordonna sa mise en liberté le 1er février. 

Bertin l'Aîné en 1802
Par François-Xavier Fabre

Son ami et ancien barbiste, Louis-François Bertin (1766-1841), dit « Bertin l’Aîné », y fit ses débuts comme journaliste.


Bertin de Veaux en 1815
Par Anne-Louis Girodet de Roucy dit "Girodet-Trioson"

Henri Nicolle prit aussi part à la rédaction du Courrier universel de J.-H.-Alexandre Poujade de Ladevèze (v. 1770-v. 1840), qui parut du 21 décembre 1792 au 27 nivôse An VIII [17 janvier 1800], où il eut pour collaborateurs les deux frères Bertin, Bertin l’Aîné et Louis-François Bertin (1771-1842), dit « Bertin de Veaux ». Ceux-ci eurent l’idée de former, entre les jeunes écrivains politiques de leur opinion, une sorte de société qui se réunissait chez un petit restaurateur de la place du Louvre [Ier], où on dressait les plans d’attaque contre les Jacobins.




En l’An IV, les Bertin créèrent L’Éclair, qui s’imprimait, comme le Courrier universel, chez Jean-Baptiste-Étienne-Élie Lenormant (1765-1832), 42 rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois [Ier, emplacement sur lequel fut construit l’agrandissement du magasin 2 de la Samaritaine en 1928], et qui parut du 17 vendémiaire An IV [9 octobre 1795] au 17 fructidor An V [3 septembre 1797]. Henri Nicolle le faisait parvenir à ses abonnés du nord de la France par une berline, qui précédait le courrier ordinaire. « Pierre » était le pseudonyme de Bertin de Veaux, qui, lors de son arrestation au sujet d’un article très vif contre Germain-Théodore Abolin (1757-1842), membre du Conseil des Cinq-Cents, fut provisoirement remplacé par son frère, Bertin l’Aîné, durant sa détention à la prison de La Force, rue Saint-Antoine [3 rue Mahler, IVe], et qui signa ensuite en toutes lettres. Après le coup d’État du 18 fructidor An V [4 septembre 1797], Bertin de Veaux et Nicolle continuèrent à publier L’Éclairsous le nom des Annales politiques et littéraires.


Le Courrier universel et L’Éclairmenèrent côte à côte la même existence précaire jusqu’au jour où –

1er et 2 pluviôse An VIII [21 et 22 janvier 1800] - les frères Bertin achetèrent à l’imprimeur François-Jean Baudouin (1759-1835) le Journal des débats et à Ladevèze le Courrier universel, qui, sous leur direction, devinrent une seule et même feuille dont leur nom reste inséparable : le Journal des débats prit le format de L’Éclair- petit in-4 -, l’imprimeur fut Lenormant – 42 [17, à partir de 1806] rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois -, le service des voitures imaginé par Nicolle pour L’Éclair emporta le nouveau journal dans les départements, la rédaction fut composée de ceux qui avaient lutté dans L’Éclair et le Courrier universel, des amis de la réunion du restaurant de la place du Louvre et des anciens barbistes.



La prudence avait imposé de séparer, aux yeux du pouvoir, les intérêts du journal et ceux de la librairie que Nicolle avait établie dès la fin de l’année 1797, avec le soutien financier de Bertin de Veaux, 56 rue du Bouloy [Ier], à l’entrée de la rue, près la rue de la Croix-des-Petits-Champs, dans la maison natale du cardinal de Richelieu, devenue hôtel de La Reynie [détruit en 1880].



En décembre 1802, la librairie déménagea 26 rue des Jeûneurs [IIe].


Le 14 germinal An XI [4 avril 1803], Henri Nicolle épousa, à Saint-Eustache, Reine-Jeanne Prévost, qui lui avait donné deux filles, Clémentine-Louise-Françoise, en 1800, et Henriette, le 1er jour complémentaire An IX [18 septembre 1801] ; elle lui donna une troisième fille, Louise-Clémentine-Gabrielle, en 1809.



En juillet 1803, la librairie déménagea dans le Petit Hôtel Bouillon, 15 quai Malaquais [VIe].



En 1797, Louis-Étienne Herhan (1768-1854), employé du graveur Jean-Pierre Droz (1740-1823), avait perfectionné un procédé de fabrication des assignats par clichage, pour imprimer en stéréotype. N’ayant pu rendre son entreprise rentable, il loua, le 27 novembre 1804, à Bertin de Veaux le droit exclusif de se servir de son procédé pendant dix-huit ans, puis, le 30 octobre 1805, lui vendit fictivement son imprimerie pour 24.000 francs, à condition de ne plus travailler que pour Nicolle et Jean-Baptiste Garnéry (1764-1843).



Entre-temps, au mois de décembre 1804, Henri Nicolle avait installé sa « Librairie Stéréotype » 9 rue Pavée-Saint-André-des-Arts [rue Séguier, VIe]. 





Il la déménagea, au mois de juin de l’année suivante, 33 rue des Petits Augustins [rue Bonaparte, VIe], puis, en 1806, 15 rue des Petits Augustins.


Il entreprit alors de donner une immense collection de livres classiques, connus sous le nom d’« éditions stéréotypes ».


In Bibliographie de la France, samedi 28 mars 1818, p. 184

Il conçut le premier le plan d’une « Bibliothèque latine, ou Collection d’auteurs classiques latins, avec des commentaires dits perpétuels, et des index. », mais il dut y renoncer après en avoir publié quelques volumes, pour éviter une concurrence fâcheuse avec Nicolas Éloi Lemaire (1767-1832), professeur à la Faculté des lettres de Paris, ancien maître de Sainte-Barbe.

Il se fit l’éditeur des Nouveau dictionnaire latin-français (1807) et Nouveau dictionnaire français-latin(1808), par François Noël (1756-1841), inspecteur général des études, et du Dictionnaire grec-françois (1808), par Joseph Planche (1762-1853), professeur et ancien barbiste, devenus ensuite la propriété de Lenormant.


« Je vous dirai qu’en me trouvant à dîner avec un M. Nicolle, que Marmontel et moi nous avons connu comme instituteur au collège de Sainte-Barbe, et qui est aujourd’hui libraire, à la tête du magasin d’Herhan, auteur d’une nouvelle manière de stéréotyper, il m’a engagé à aller voir l’atelier de M. Herhan. J’ai été frappé de la beauté et de la grandeur de l’établissement : j’y ai trouvé quarante presses en mouvement à la fois, occupées à tirer à cinquante mille exemplaires le catéchisme qui doit servir à tous les diocèses de France.

Herhan et Nicolle m’ont fait suivre toutes ces opérations que j’entreprends de vous décrire en peu de mots. Figurez-vous donc de petites lames de cuivre sur une des extrémités desquelles on grave les lettres en creux qu’on compose comme des caractères ordinaires pour en faire une page solide. Cette page ensuite est enfoncée avec force dans une matière de caractères d’imprimerie en demi-fusion et donne une planche ou page en relief formant aussi une seule masse, chaque page ou planche n’ayant guère que quatre à cinq lignes d’épaisseur. C’est de ces planches, assemblées dans un châssis de construction nouvelle, que se forme la feuille qui doit passer sous la presse.

J’ai vu là des ouvrages stéréotypes in-octavo, ce qu’on n’avait point encore fait jusqu’ici, et d’une netteté, d’une correction vraiment admirables.

J’ai vu les formes de tout un Racine n’occupant qu’un très-petit espace et pouvant être envoyées dans une caisse au bout du monde, sans risque d’aucun dérangement. »

(Mémoires inédits de l’abbé Morellet, de l’Académie française, sur le dix-huitième siècle et sur la Révolution. Paris, Ladvocat, 1822, t. II, p. 193-194)




Tableau historique et pittoresque de Paris
Frontispice

En février 1809, un dernier déménagement de la « Librairie stéréotype » eut lieu 12 rue de Seine [VIe], dans l’hôtel de La Rochefoucauld [détruit en 1825]. Henri Nicolle fut breveté libraire le 1er octobre 1812.

Après le décès de son épouse, Reine-Jeanne Prévost, arrivé le 5 janvier 1813, il épousa, au plus tard en 1815, Angélique-Justine Dussault, qui lui donna une quatrième fille, Gabrielle-Joséphine-Louise, le 5 août 1816.



« Le goût du théâtre, qui se répand de jour en jour, a suggéré depuis quelques années l’idée d’offrir aux nombreux amateurs de l’art dramatique la collection de tous les ouvrages restés au répertoire, qu’il seroit difficile de se procurer autrement, sans des frais considérables et sans des recherches longues et pénibles, et qui d’ailleurs, à raison de la différence des formats, de l’impression et du papier, ne peuvent jamais composer un recueil élégant et commode. Dans le nombre de ces collections, on a toujours distingué celle qui a été donnée par H. Nicolle, en soixante-sept volumes in-18, et imprimée d’après le procédé stéréotype d’Herhan. On connoit les avantages de cette découverte, qui seule a atteint le but principal que l’imprimerie doit se proposer, celui de produire des éditions exemptes de fautes. Déjà plusieurs tirages successivement épuisés ont prouvé combien cette collection étoit agréable au public. Cette considération a persuadé à l’éditeur qu’un nouveau tirage imprimé avec soin, d’après une révision plus sévère, dans un format plus élégant, sur du plus beau papier, enfin avec cette sorte de luxe que peuvent admettre les éditions stéréotypes, trouveroit aussi de nombreux amateurs dans la classe de ceux à qui leur fortune permet de rechercher à la fois les bons livres et les belles productions de l’imprimerie. C’est donc une édition in-12 du Répertoire du Théâtre Français qu’annonce aujourd’hui l’éditeur : les vingt-sept premiers volumes sont consacrés aux auteurs du premier ordre, c’est-à-dire à Pierre et Thomas Corneille, dont les chefs-d’œuvre sont accompagnés des Commentaires de Voltaire, à Racine, à Crébillon, à Voltaire, à Molière et à Regnard. Les quarante volumes suivants renferment, par ordre de temps, tous les ouvrages restés au théâtre, depuis Scarron jusqu’aux auteurs de nos jours, et les pièces de chacun d’eux sont précédées d’une notice biographique, rédigée avec autant de précision que d’exactitude.

Cette belle collection composée, ainsi que nous venons de le dire, de soixante-sept volumes in-12, paroîtra par livraisons de trois volumes chacune, à l’exception de la dernière qui sera de quatre. Le prix de chaque livraison sur papier fin, sera pour les souscripteurs de 9 fr., et de 15 fr. sur papier vélin satiné. Le prix, pour les personnes qui n’auront pas souscrit, sera de 3 fr. 50 c. le volume en papier fin, et 6 fr. en papier vélin satiné, dont il ne sera tiré qu’un très petit nombre d’exemplaires. La souscription sera fermée le 15 août prochain. Les deux premières livraisons ont paru. On souscrit sans rien payer d’avance, chez H. Nicolle, à la librairie stéréotype, rue de Seine, n° 12 ; chez le Normant, même rue, n° 8 ; et chez les principaux libraires de province. » [sic]

(Journal des débats politiques et littéraires, vendredi 26 juin 1818, p. 4)


Tome 1



Tome 67

À partir d’octobre 1819, Henri Nicolle fit gérer sa librairie par son commis et neveu Charles Gosselin (1795-1859), ex-élève de Sainte-Barbe, en faveur de qui il se démit le 12 décembre 1821 et qui succéda à son brevet le 24 janvier 1822.



Retiré des affaires, Henri Nicolle rejoignit son frère, qui venait de rétablir le Collège de Sainte-Barbe.


Dès que la tourmente révolutionnaire fut passée, la Maison de Sainte-Barbe, dénommée « Collège des sciences et des arts », s’était réorganisée, en 1798, dans les bâtiments de la rue de Reims, sous l’habile direction de Victor de Lanneau (1758-1830), ex-théatin et ex-vicaire épiscopal, alors sous-directeur du Prytanée français [lycée Louis-le-Grand, Ve].

Pendant ce temps, des anciens barbistes avaient repris l’enseignement, dans les bâtiments de la communauté de femmes de Sainte-Aure, situés rue Neuve-Sainte-Geneviève [rue Tournefort, Ve] ; ils avaient été transférés, en 1806, rue des Postes [rue Lhomond, Ve], dans les bâtiments du couvent des religieuses de la Présentation Notre-Dame, sous le titre « Association des anciens élèves de la communauté de Sainte-Barbe », puis achetés, en 1818, par l’abbé Nicolle.

Une lutte s’était engagée entre les deux établissements pour la possession exclusive du titre de « Maison de Sainte-Barbe ». L’autorité administrative avait donné plusieurs fois gain de cause à Victor de Lanneau, notamment en 1808 et en 1818, mais l’abbé Nicolle, revenu définitivement de Russie et ayant été nommé recteur de l’Académie de Paris en 1821, la question fut alors tranchée dans son intérêt, sous le nom de « Collège de Sainte-Barbe ».



L’abbé Nicolle plaça son frère, libraire et attaché à la rédaction du Journal des débats, à la tête du Collège de Sainte-Barbe de la rue des Postes. Après la mort de Henri Nicolle, le collège fut racheté par la ville de Paris et prit le nom de « Collège Rollin », le 6 octobre 1830 ; il déménagea, en 1876, avenue Trudaine [IXe] et devint, en 1944, le Lycée Jacques Decour.



La Maison de Sainte-Barbe, devenue Collège Sainte-Barbe, eut, en 1882, son entrée 4 rue Valette [Ve], fut fermé en 1999 et devint, en 2009, la Bibliothèque Sainte-Barbe.


Malade depuis les derniers mois de 1828, Henri Nicolle mourut d’apoplexie le mercredi 8 avril 1829. Une épouse et trois filles lui survécurent. Ses obsèques eurent lieu le vendredi 10 avril 1829, en l’église Saint-Étienne-du-Mont [Ve], sa paroisse. Il fut inhumé au cimetière du Montparnasse, où Charles-Auguste Defauconpret (1797-1865), préfet des études et son successeur dans la place de directeur du Collège Sainte-Barbe, prononça un discours.


Le 20 février 1841, quelques mois avant la mort de Bertin l’Aîné, arrivée le 13 septembre 1841, son fils Édouard Bertin (1797-1871) épousa la petite-fille de Henri Nicolle, Amélie-Henriette-Joséphine Gobert (1822-1915).









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