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L'Ami de Sylvestre Bonnard : Honoré Champion (1846-1913)

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Honoré Champion (1906)
5 quai Malaquais 
D'une famille originaire de Bourgogne, Jean-Baptiste-Honoré Champion est né le 13 janvier 1846, dans l'ancien Ve arrondissement [aujourd'hui IIe et Xe] de Paris : son père était marchand de vin à l'entrepôt de Bercy.
Honoré Champion quitta le collège Turgot [IIIe]pour entrer, en 1860, comme apprenti chez Jean-Baptiste-André Dumoulin (1808-1885), libraire 13 quai des Grands-Augustins [VIe]:

« Pas commode le père Dumoulin, sanglé dans sa redingote, petit, maigre et sec, qui fumait entre les piles de livres son cigare à deux sous ! »
(Pierre Champion. Mon vieux quartier. Paris, Bernard Grasset, 1932, p. 11)

Marque du libraire Dumoulin
Originaire de Normandie, Dumoulin avait ouvert, en 1834, une librairie historique, archéologique, ancienne et moderne. Il était libraire de la Société impériale des Chartes et publia la Bibliothèque de l’École des chartes de 1844 à 1862 ; il était aussi libraire de la Société nationale des Antiquaires de France, dont il publia les Mémoires de 1846 à 1883. Antiquaires et chartistes se retrouvaient dans sa boutique. De temps à autres, il publiait un livre d’érudition : Essai historique et archéologique sur l'église cathédrale de Notre-Dame de Laon, par Jules Marion (1843) ; Histoire des guerres de religion dans la Manche, par A. Delalande (1844) ; La Noblesse de France aux Croisades, par P. Roger (1845) ; Preuves de l'état civil des personnes et de la condition des terres dans les Gaules, par C.-J. Perreciot (1845) ; Histoire de l'Hôtel de Ville de Paris, par Le Roux de Lincy (1846) ; Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques peintres provinciaux de l'ancienne France, par Ph. de Pointel (1847) ; Histoire des grands panetiers de Normandie, par le marquis de Belbeuf (1856) ; Les Écoles épiscopales et monastiques de l'Occident, par Léon Maitre (1866) ; Napoléon, Joseph et Lucien Bonaparte au collège d'Autun en Bourgogne, par Harold de Fontenay (1869).


Préparant le mince catalogue que publiait Dumoulin, Champion faisait des fiches, rédigeait des notes, corrigeait les épreuves, taillait les bandes de papier jaune sur lesquelles il recopiait les adresses, affranchissait les catalogues et portait les ballots à la Poste. Le dimanche, il allait ranger les livres dans la maison de Sainte-Beuve (1804-1869), 11 rue du Montparnasse [VIe], pour dix sous.

Conséquence de lectures quotidiennes, Champion publia très tôt : « Les Abbesses de Longchamps » (In Revue nobiliaire historique et biographique. Paris, J. B. Dumoulin, 1867, t. III, p. 415-423), suivies par une Notice historique sur l'abbaye de Longchamps (Paris, J. B. Dumoulin, 1869).

La guerre de 1870 interrompit un temps ses activités. Après un séjour à Strasbourg et à Metz, où il acheta pour Dumoulin la bibliothèque de l'École d'artillerie qui contenait les manuscrits de Vauban, il épousa, en 1872, Henriette-Émélie-Antoinette Gérard, fille d'un cordonnier de Clermont-en-Argonne [Meuse], née le 17 novembre 1851.

Petit hôtel de Chimay, 15 quai Malaquais
En 1874, il racheta le fonds de la veuve Suzanne, à laquelle il fit un premier versement de 10.000 francs payé par son commanditaire, Jean-Marie Passier, et s'établit à son compte, 15 quai Malaquais [VIe], dans le « petit hôtel de Chimay », auparavant appelé « petit hôtel de Bouillon » : librairie au rez-de-chaussée et appartement au-dessus. C'est à cette adresse que François-Noël Thibault, dit « France », avait installé sa librairie de 1844 à 1853. 

Plan de Paris de Braun (1572)
Champion plaça comme enseigne, au-dessus de sa « Librairie spéciale pour l'Histoire de France », le plan de Paris au XVIesiècle par Braun, dans un cadre noir, et débuta par le commerce des livres d'occasion :

« Dans la petite boutique du 15, Honoré avait commencé de vendre des livres anciens et des documents, comme son patron Dumoulin. Des profits de cette vente, Honoré tire une autre mouture, ses éditions. Il se lie avec de jeunes chartistes, des romanistes qu'il admire de toute sa foi et de son enthousiasme, Léopold Delisle, Gaston Paris, Paul Meyer, d'Arbois de Jubainville, Siméon Luce, Courajod, Mistral, Auguste Longnon, tous des fidèles et des amis. La librairie, proche de l'Institut, en fut parfois l'antichambre. Le jeudi, où siègent les membres de l'Académie Française, on ne rencontre pas dans la boutique les mêmes personnages que le vendredi. Français vivant et aimable, le jeune Honoré a des amis à l'étranger comme Suchier à Halle, Forster à Bonn, Bocher aux Etats-Unis, Monaci à Rome, lord Rosebery à Londres et Loutchisky en Russie.
C'est vraiment un commerce d'amitié qu'il a su créer autour de lui, et dès sa jeunesse. Honoré, sans aucun capital, court son aventure. Mais il a la foi, comme ceux qui regardent seulement devant eux. Il crée, parce qu'il travaille, et suivant son instinct. Honoré a fait sortir de la vente des vieux livres les éditions qu'il aime, sans rechercher les affaires lucratives, mais celles qui répondent à ses goûts. Imprimer Léopold Delisle, Siméon Luce, Longnon est pour ce libraire une satisfaction d'auteur. Il relit toutes les épreuves des beaux livres qu'il imprime à 500 exemplaires, et qui sont tirés sur papier inaltérable. Que de sacrifices il dut alors s'imposer ! Ma mère vivait parfois dans les transes, car la facture de Daupeley, qui imprime si bien, peut coïncider avec le terme d'un loyer. La chose devenait parfois dramatique. Mais l'optimisme d'Honoré, sa jeunesse désarmaient tout le monde. Je dois dire aussi qu'il n'aimait pas trop à faire des calculs et ne s'embarrassait pas de cette vaine science, l'arithmétique. Longtemps, il ignora la comptabilité ; mais toujours il sortait d'embarras, ayant la foi. Ses intuitions, en matière de trouvailles de bouquins ou d'auteurs, l'ont servi admirablement. »
(Pierre Champion. Ibid., p. 37-38)

Il édita ensuite des publications à compte d'auteur, des collections de Sociétés savantes, les catalogues de la Bibliothèque nationale, et assura la diffusion d'éditions provinciales confidentielles.


Dès son installation en 1874, Champion participa à la fondation de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France, dont il devint le libraire, éditeur du Bulletin, à partir de 1874, puis des Mémoires, à partir de 1875. À partir de 1883, il édita la Revue de l'Art chrétien.
Il se chargea de la diffusion du Dictionnaire historique de l'ancien langage françois (Niort, L. Favre, 1875-1882, 10 vol. in-4), par La Curne de Sainte-Palaye, puis de Lou Tresor dou Felibrige ou Dictionnaire provençal-français (Aix-en-Provence, Veuve Remondet-Aubin, 1879-1886, 2 vol. in-4), par Frédéric Mistral.
Dans la clientèle composite qui fréquentait sa librairie, se trouvaient de grands bibliophiles : le duc d'Aumale, le baron Pichon, Mareuse, Auguste Lesouef, le duc de La Tremoille, le duc de Broglie, les marquis de Vogüé, de Pange, de Pimodan, de Brémond d'Ars.

C'est à cette adresse que naquirent cinq des six enfants Champion : Pauline-Marie-Antoinette le 10 juin 1875, Maurice-Auguste-Joseph le 3 octobre 1877, Pierre-Jean-Baptiste-Honoré le 27 février 1880, Édouard-Jean-Marie le 10 octobre 1882 et Julie-Jeanne-Yvonne le 6 juin 1886. C'est à cette époque que Champion devint l'ami intime de deux de ses confrères, installés rue Bonaparte [VIe] : Alphonse-Gabriel-François Picard (1833-1906) et Victor Lecoffre (° 1841).

Mais dès 1884, l'État acquit l'hôtel de Chimay, 17 quai Malaquais, et le petit hôtel de Chimay, pour agrandir l'École des Beaux-Arts. 

9 quai Voltaire
En 1890, à l'expiration de son bail, Champion dut s'installer un peu plus loin, 9 quai Voltaire [VIIe] : ce magasin avait été loué, lui aussi, par le père d'Anatole France, de 1858 à 1866 [Dominique-Vivant Denon (1747-1825), premier directeur du Louvre, est mort au 5 quai Voltaire (Institut royal de France. Paris, Firmin Didot, 1818, p. 57) et non pas au 9 (selon Anatole France), ni au 7 (selon la plaque apposée sur la façade)].

La Librairie Champion, par Henri Buron (1880-1969)
Musée Carnavalet
« La boutique du 9 quai Voltaire consistait en un grand rez-de-chaussée, avec une vitrine assez vaste. […]
Des rayons, un casier où étaient rangés les gros registres verts où les membres de la Société de l'Histoire de Paris venaient, plusieurs fois l'an, donner une signature en retirant les publications auxquelles ils avaient droit, une table avec un tapis vert où Honoré Champion exposait ses récentes éditions savantes, une cheminée de marbre blanc. La belle tête de la Niké antique, don de M. de Laborde, le plus noble morceau de la statuaire grecque, présidait aux réunions. Les chaises cannées, qui garnissaient la librairie à se toucher et se prolongeaient jusqu'au petit bureau d'Honoré, formaient le seul luxe de la pièce. […]
La librairie Champion, comme celle du père d'Anatole France, était une librairie à chaises. Les habitués y avaient leur place, comme à l'Académie on a son fauteuil. […]
La librairie du quai Voltaire demeurait enfin, pour les vieilles familles provinciales de France, un centre de réunion et d'études généalogiques. »
(Pierre Champion. Ibid., p. 44-47)

Expert près le tribunal civil de la Seine, Champion fut choisi pour rédiger le catalogue et procéder à la vente de nombreuses bibliothèques, parmi lesquelles furent celles de Charles Giraud (1802-1881), professeur de droit et membre de l'Institut ; de Jules Desnoyers (1800-1887), géologue ; du baron Jean de Witte (1808-1889), archéologue ; de l'écrivain Marcel Schwob (1867-1905), maître et intime ami de son fils Pierre.
À partir de 1903, il édita la Revue des études rabelaisiennes.

En 1905, en pleine publication de l'Atlas linguistique de la France(Paris, Champion, 1902-1910, 9 vol. gr. in-8), par Edmond Edmont et Jules Gilliéron, Champion acquit le fonds de la librairie d'Émile Bouillon, 67 rue Richelieu [IIe], qui avait succédé en 1887 à son beau-père Friedrich Vieweg, lui-même successeur de Albert Franck.
Champion joignit à ses revues celles de Vieweg-Bouillon : Romania, recueil trimestriel consacré à l'étude des langues et des littératures romanes ; Revue celtique ; Le Moyen Age, revue d'histoire & de philologie ; Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l'archéologie égyptiennes et assyriennes ; Revue des bibliothèques

Marque du libraire Vieweg

Marque du libraire Champion

Il conserva la marque de Vieweg et sa devise, « NUNQUAM RETRORSUM»[jamais en arrière], remplaçant seulement les initiales F. V. par les siennes.

Hôtel de Châteauneuf, 5 quai Malaquais
Pour s'agrandir, il emménagea alors au rez-de-chaussée du 5 quai Malaquais, dans l'hôtel de Châteauneuf, auparavant appelé hôtel de Garsaulan, occupé jusque là par la librairie de Auguste Duplenne, et associa son fils Édouard à la librairie.

Librairie Duplenne, 5 quai Malaquais (1904)
« Ce n'était plus la librairie à chaises du quai Malaquais où se reposaient en causant les flâneurs. La pièce d'où l'on découvre la statue de Voltaire est pleine de livres d'érudition, de brochures aux couvertures claires : sur la longue table on prépare de nombreuses expéditions. Il n'y a plus que quelques chaises dans la chambre où mon frère Edouard, à son bureau, dirige juvénilement l'entreprise. Il défend, si l'on veut, le sanctuaire, où ceux qui ont l'habitude de le voir peuvent seuls trouver Honoré.
Mon père travaille à sa table d'acajou, dans un petit cabinet couleur du temps. Des reliures de maroquin rouge garnissent les vitrines, des incunables, des livres enchaînés forment le fond d'un tableau préparé pour un petit maître Hollandais. Des photographies, les portraits des savants qu'il avait connus, tiennent compagnie à mon père. Là, il accueille toujours les visiteurs d'un sourire, conte une anecdote sur les disparus. Il regarde, indulgent, les choses et le monde. Un pétale des roses de son jardin d'Aulnay tombe parfois sur la page d'un livre ouvert. Penché sur son bureau, alourdi par l'âge, il relève sa tête forte pour fixer de ses yeux clairs un visiteur. Il déplace, d'un geste machinal, la calotte de soie noire et souple, que lui faisait ma mère, et qui couvre son front dénudé encadré de longues boucles de cheveux gris. Sa bouche sourit sous sa moustache courte. […]
Il sort de sa boutique avec son large chapeau de feutre, sa houppelande à collet, sa cravate Lavallière à pois. Il donne un instant un regard au quai, au Louvre et à l'Institut. Il va prendre le chemin de fer de Sceaux qui le ramènera à la Vallée aux Loups, où il copie la correspondance de Chateaubriand. […] Mon père, qui a eu la chance de recueillir, à la vente Récamier, la dictée à Pilorge des Mémoires d'Outre-Tombe, a la passion de Chateaubriand. […] Ce culte l'a attaché à Aulnay, où dans sa maison de la Vallée aux Loups, Honoré est devenu le voisin du grand écrivain romantique. »
(Pierre Champion. Ibid., p. 51-53)


En 1910, au moment des inondations, la statue de Voltaire, réalisée par le sculpteur Joseph-Michel Caillé en 1885 [fondue en 1941], préserva sa librairie, en détournant les eaux vers la rue de Seine [VIe] et la rue Bonaparte.

Rue Jacob, les livres de la Bibliothèque de la Faculté de médecine voisine
flottent sur l'eau, lors des inondations de 1910
Dans son article intitulé « Portraits de libraires. Les frères Garnier » et signé « H.C. Libraire-expert au Tribunal de la Seine », que Champion publia dans le Bulletin de l’Association amicale professionnelle des commis-libraires français (Paris, A. Fleury, 1913), les légendes des portraits en photographie des deux frères Garnier ont été inversées.

Honoré Champion, 5 quai Malaquais (1911)

Honoré Champion mourut subitement d'une embolie, le 8 avril 1913, vers six heures du matin, dans son appartement du 30 de la rue Jacob [VIe] :

30 rue Jacob
(aujourd'hui Galerie Frédéric Castaing)
« Une partie de la nuit il avait corrigé ses épreuves, et fumé des cigarettes. Dans sa petite chambre fleurdelysée, il avait gagné son lit de bois noir, près du coffre qui servait de socle à un buste de Rembrandt, don de Stanislas Lami, où nous nous plaisions à le reconnaître. Il reposait sous l'effigie de Jérome [sic] Coignard, libraire du roi, et le dessin d'oiseaux de Giacomelli où François Coppée, son ami, avait écrit des vers. Mon père se leva à l'aube et alla s'asseoir sur un vieux fauteuil de peluche rouge dans la chambre de ma mère : “ Je ne me sens pas bien.” Il gagna de nouveau son lit et reprit la lecture de ses épreuves. Il revint dans la chambre de ma mère, quelques instants après, et dit : “ Je me sens mal ...” Il eut à peine la force de regagner son lit : “ J'étouffe !...” »
(Pierre Champion. Ibid., p. 55-56)

Les obsèques furent célébrées le 11 avril, à 11 heures, en l'église Saint-Germain-des-Prés. 

(Photo. Remy Bellenger)
L'inhumation eut lieu au cimetière du Montparnasse. Des discours furent prononcés par Émile Chatelain, vice-président de l'Institut, conservateur en chef à la bibliothèque de l'Université de Paris ; Abel Lefranc, professeur au Collège de France ; Édouard Rahir, libraire, au nom de ses confrères de la Librairie ancienne, et Jérôme Tharaud, au nom de ses « jeunes amis ».

Edouard et Honoré Champion (1909)
Par Louis-Edouard Fournier (1857-1917)
En 1914, les deux frères, Pierre et Édouard, furent mobilisés ; la librairie resta ouverte grâce à leur sœur, Marie. Après la Première Guerre mondiale, Édouard Champion, successeur de son père, agrandit les locaux en louant la boutique voisine, 7 quai Malaquais. 

Librairie Champion, 7 quai Malaquais
Cette dernière fut le seul local que la librairie occupa pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque les activités s'arrêtèrent progressivement.

Points de localisation : bleu (9 quai Voltaire), rouge (15 quai Malaquais), jaune (7 quai Malaquais),
vert (5 quai Malaquais), violet (30 rue Jacob)







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