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Anatole de Montaiglon, « De jour en jour, en apprenant, mourant ».

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Anatole de Courde de Montaiglon appartenait à une famille de petite noblesse provinciale, originaire de Franche-Comté. Fils unique, il naquit à Paris, le 28 novembre 1824 :


« Du mardi trente novembre mil huit cent vingt-quatre, dix heures du matin, acte de naissance de Anatole, que nous avons reconnu être du sexe masculin, né le vingt-huit du courant, à trois heures et demie de relevée, au domicile de ses père et mère, rue Sainte-Anne, 44 [IIe], fils de Auguste-Emma de Courde de Montaiglon, avocat, âgé de vingt-sept ans, et de dame Geneviève-Simonette Fouquet, son épouse, âgée de vingt-huit ans. Les témoins ont été MM. Pierre-Jean-Baptiste de Courde de Montaiglon, avocat, âgé de soixante-six ans, demeurant susdite rue et numéro, aïeul paternel de l’enfant, et Anatole Fouquet, archiviste-adjoint de la Couronne, âgé de trente-deux ans, demeurant à Paris, rue du Regard, 15 [VIe]. »


Il débuta ses études au lycée Louis-le-Grand, rue Saint-Jacques [Ve], et les poursuivit au lycée Charlemagne, rue Charlemagne [IVe], prenant pension à l’Institution de Jean Massin (1765-1849), 12 rue des Minimes [IIIe]. Après son baccalauréat en 1844, il obtint le diplôme de bachelier en droit en 1847, mais préféra entrer à l’École des chartes, qu’il quitta en 1850, avec le diplôme d’archiviste-paléographe. En 1851, il devint membre résidant de la Société des Antiquaires de France. En 1852, à la mort de son père, qui ne lui laissa que des dettes, il obtint une place d’attaché au Musée du Louvre. En 1855, il fut élu membre de la Société des Antiquaires de Normandie. En 1856, nommé surnuméraire à la Bibliothèque de l’Arsenal, il quitta la rue de Miromesnil [VIIIe] pour s’installer au




9 place des Vosges [IVe, hôtel de Chaulnes], au fond de la deuxième cour, à gauche, au-dessus de l’écurie :


« L’escalier très étroit était fort sombre, en tâtant j’accrochai un cordon de sonnette. Un silence, puis des pas trainés, il m’ouvrit lui-même. Je crus devoir me nommer, il m’arrêta : “ A quoi bon ? Entrez, asseyez-vous et causons, quand nous aurons causé je saurai qui vous êtes.”

Pour arriver à son cabinet de travail, il fallait traverser une sorte de tunnel creusé dans du papier ; une fois là, il me poussa dans un fauteuil où gisaient trois ou quatre gros bouquins et se remit à sa table. Il corrigeait les épreuves d’un article pour une revue d’art. “ Je finis tout de suite, me dit-il, faites comme chez vous : si vous voulez vous chauffer, chauffez-vous ; si vous voulez lire, prenez mes épreuves. ” […]

Entre temps je regardais la chambre, des livres partout, de tous les formats, tous avec des reliures d’amateur et de quel amateur ! Des maroquins superbes, du veau naturel avec de grandes étiquettes rouges, et tout en haut empilés, les petits volumes cartonnés de la bibliothèque Elzévirienne, l’œuvre du cher Jannet à la mémoire duquel le maître de céans a dédié sept dizains de sonnets tirés de Rabelais, ayant tous une citation pour titre. Par terre des piles de brochures, sur les tables des rouleaux d’estampes et des livraisons, par une porte entr’ouverte, on voyait d’autres livres encore qui se miraient dans la glace au-dessus de la cheminée. De temps à autre il se produisait un glissement dans les piles, des brochures tombaient : “ Ne vous dérangez pas, disait Montaiglon, mes livres s’ennuient et ils causent entre eux quelquefois. ”

Au mur une photographie de la Source, plus loin un portrait de l’érudit jeune et deux miniatures de ses grands-parents, dans un coin un vase funéraire de l’époque mérovingienne, pansu, avec un long bec, et, sur la cheminée, dans une coupe, des pipes. C’était tout. » (Mario Schiff. « Anatole de Courde de Montaiglon 1824-1895. » dans La Revue politique et littéraire, Revue bleue, n° 24, 4e série-t. XI, 17 juin 1899, p. 757)


Il devint sous-bibliothécaire à Sainte-Geneviève en 1860, secrétaire-trésorier et professeur suppléant à l’École des chartes en 1864, fut appelé au Comité des travaux historiques, section d’archéologie, en 1865 et titulaire de la chaire de bibliographie et de classement des archives en 1868, après la mort de Vallet de Viriville :





« A l’Ecole les anciens racontaient de lui beaucoup de choses étranges, mais c’était tout de même encore un étonnement que de le voir monter en chaire. Il arrivait lentement, peu soigné dans sa mise, avec une chemise de flanelle, les mains noires de la poussière des livres et un monocle pendu au cou en guise de médaillon. Il était maigre, voûté et ses yeux avaient un regard vague qui, très vite, se muait en un sourire. » (Mario Schiff. Ibid., p. 756)


En 1870, il reçut la croix de la Légion d’honneur et devint président de la Société de l’Histoire de l’art français.

Ses œuvres ont eu particulièrement pour objet l’origine de l’art français et celle de notre ancienne littérature. La bibliographie de Montaiglon compte 684 numéros ([Bournon, Guiffrey, Lacombe, Mareuse, Morel-Fatio et Tourneux]. Bibliographie des travaux de Mr A. de Montaiglon. Paris, Jouaust, novembre 1891) : le chapitre des beaux-arts, le plus long, va du n° 1 au n° 333 ; l’archéologie s’étend du n° 334 au n° 463 ; l’histoire littéraire va de 464 à 605 ; les varia et curiosités vont du 606 au 667 ; les sonnets et poésies vont du 668 au 684. Un supplément (Fernand Bournon et Gaston Duval. Bibliographie des travaux de M. A. de Montaiglon. Paris, Henri Leclerc, 1900) comporte les additions et rectifications au volume de 1891, les œuvres publiées postérieurement à cette date et l’énumération des articles nécrologiques et des études biographiques. Il a été un des plus remarquables éditeurs de Rabelais, de La Fontaine, de Molière, et fut l’un des premiers qui, vers le milieu du siècle, ressuscitèrent en de savantes et élégantes éditions les trésors de la vieille langue française.

Montaiglon s’occupa toute sa vie d’augmenter la bibliothèque qui occupait les pièces de son logement de la place des Vosges, soit dans les ventes publiques, soit sur les quais :


« Ah ! les bouquins, les bouquins, s’écria-t-il une fois, et on me demande pourquoi je ne me suis pas marié ! D’abord parce que je voulais conserver le bénéfice net de l’affection de mes parents, ensuite parce que quand je me voyais épris, je me disais : Voyons Anatole, aimes tu mieux mademoiselle une telle ou un bel incunable ? J’aimais toujours mieux l’incunable ! » (Mario Schiff. Ibid., p. 758)


Donc, resté célibataire et sans enfant, il voulut prendre des dispositions testamentaires pour que ses livres ne fussent pas livrés aux hasards d’une vente publique. Mais les lenteurs administratives, les obstacles inattendus et une certaine indifférence chez les parties intéressées (Bibliothèque nationale, Bibliothèque de l’Arsenal, Bibliothèque municipale de Tours) lui firent changer ces dispositions. En 1894, l’intervention d’un ami commun amena la cession de la bibliothèque de 18.000 volumes [et non 85.000] au prieur d’une Communauté bénédictine parisienne fondée l’année précédente, André-Martin Coutelle de La Tremblaye [† 1909], moyennant le payement d’une rente annuelle et viagère de 1.200 francs, par trimestre et d’avance, et à condition de ne pas la transporter « en dehors de Paris du vivant du vendeur » et de préparer un catalogue qui « devra, dans les cinq ans qui suivront le décès de M. de Montaiglon, être imprimé aux frais de l’acquéreur ».


Atteint par la limite d’âge, Montaiglon avait fait en juillet 1895 sa dernière leçon et était parti se reposer en Touraine chez ses amis.  Comme si sa vie devait finir avec son enseignement, il rendit le dernier soupir à Tours (Indre-et-Loire), le 1er septembre suivant, « à six heures du soir, rue Saint-Pierre, 12, petit hôpital Saint-Gatien. » Il avait touché 1.800 fr. sur sa rente viagère. Le général Gonse, sous-chef d’état-major de l’armée, son cousin, se chargea de faire célébrer à Paris la cérémonie funèbre : le 21 septembre avait lieu le service à l’église Saint-Paul-Saint-Louis et il fut déposé dans le caveau du Père-Lachaise [25e division], auprès de sa mère :




le monument, dû à l’architecte Édouard Corroyer (1835-1904), qui avait dessiné son ex-libris, et au sculpteur François Sicard (1862-1934), consistant en une stèle surmontée du masque de bronze, qui reproduit le moulage même pris sur le cadavre, a été érigé à l’aide de souscriptions particulières et inauguré le 9 novembre 1896.      


En 1894, sa bibliothèque avait été installée dans l’appartement occupé alors par la Communauté bénédictine, loué au nom de La Tremblaye, 34 rue Vaneau [VIIe]. En 1897 [et non en 1899], la Communauté déménagea pour aller s’installer à Auteuil, 5 rue de la Source [XVIe], grâce à la munificence d’une généreuse bienfaitrice, et devint le prieuré de Sainte-Marie. Quand on voulut faire transporter les livres dans le nouveau local, on trouva la porte close. La bibliothèque de Montaiglon, emballée dans de nombreuses caisses, avait été conduite à la gare Saint-Lazare, à destination du Havre. Après avoir quitté son habit de moine, La Tremblaye s’était rendu en Amérique avec les caisses. On sut que les livres avaient été vendus à Boston, que l’ancien prieur s’était marié et qu’il était revenu s’installer dans les environs de Paris. L’Ordre des Bénédictins n’avait aucun recours contre le Père La Tremblaye : l’acte de vente avait été signé par lui, il était légalement le propriétaire des livres qu’il avait payés avec de l’argent donné par sa famille, et les livres étaient installés dans un local loué en son nom.


Paris, Klostermann, 1814
(Coll. B. Hugonnard-Roche)

Les livres étaient en excellent état, plus des deux tiers étaient soigneusement reliés en demi-veau ou en demi-maroquin, tous avaient le monogramme A.D.M. doré sur leurs dos et un grand nombre contenait un ex-libris.


Il existe quatre ex-libris différents de Montaiglon :



l’un, avec encadrement Renaissance rectangulaire, renfermant dans le motif supérieur les initiales A. M. (65 x 43 mm.) ;



l’autre, est simplement entouré d’un double filet, un gras et un mince (91 x 62) ;




le troisième est encadré d’un simple filet, avec fleurons aux quatre angles (54 x 43) ;



le quatrième, monogramme composé des lettres A M enlacées et d’un petit D, dans une banderole circulaire terminée en bas par quatre cordons enlacés, terminés par des houppes (68 x 53). Tous sont typographiques, tirés en noir, avec comme devise, empruntée à l’architecte du xvie siècle Jean Bullant et qui pourrait être celle de tous les travailleurs : « De jour en jour en apprenant mourant » ; les trois premiers portent en outre l’inscription « De la Bibliothèque de M. Anatole de Montaiglon ». Livres et ex-libris sont aujourd’hui aussi rares les uns que les autres. 








La bibliothèque de Montaiglon fut dispersée en trois ventes, à Boston, dans la salle fondée en 1878 par Charles F. Libbie (1837-1904) :
















Du lundi 22 au vendredi 26 mai 1899 : Catalogue of the extensive and valuable Library belonging to M. C. Coutelle, Paris, including the entire Library of the late Anatole de Montaiglon, professor of École des Chartes, celebrated Art Historian and Bibliographer. […]. Part I (Boston, C. F. Libbie & CO., 1899, in-8, viii-240 p., 3 ill., 3.504 lots).













Du mardi 6 au vendredi 9 juin 1899 : Catalogue of the extensive and valuable Library belonging to M. C. Coutelle, Paris, including the entire Library of the late Anatole de Montaiglon, professor of École des Chartes, celebrated Art Historian and Bibliographer. […]. Part II (Boston, C. F. Libbie & CO., 1899, in-8, [1]-[1 bl.]-[2]-179 [241 à 419]-[1 bl.] p., front., 2.514 [3.505 à 6.018] lots).








Du mardi 13 au jeudi 15 juin 1899 : Catalogue of the extensive and valuable Library belonging to M. C. Coutelle, Paris, including the entire Library of the late Anatole de Montaiglon, professor of École des Chartes, celebrated Art Historian and Bibliographer. […]. Part III (Boston, C. F. Libbie & CO., 1899, in-8, [2]-160 [421 à 580] p., 1.936 [6.020 (sic) à 7.955] lots).


















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