Né le 5 janvier 1820 à Saint-Germain-de-Grave (Gironde), Pierre Jannet débuta comme clerc d’avoué à Bordeaux. Plus attiré par l’étude des langues – outre le latin et le grec, il posséda rapidement l’allemand, l’italien et l’anglais – et les livres que par les études de droit, il vint ouvrir en 1846 une librairie à Paris, au 37 de la rue de la Fontaine-Molière [aujourd’hui rue Molière, Ier], dans une grande chambre entourée de quelques rayons en sapin.
Dès cette époque, il donna des preuves de son savoir bibliographique. Il proposait gratuitement un Catalogue de livres français et étrangers, anciens et modernes, en vente, aux prix marqués, ce qui était novateur.
Il publia le Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. Philippe de Larenaudière (Paris, P. Jannet, 1846, in-8, xvj-272 p., 2.576 lots), ancien magistrat et ancien vice-président de la Société de géographie de Paris, dont la vente eut lieu à la Maison Silvestre, 30 rue des Bons-Enfants (Ier), du lundi 30 novembre au samedi 19 décembre 1846, en 18 vacations. Au mois de janvier 1847, il publia les premiers numéros de deux hebdomadaires : le Catalogue général de la librairie française, qui paraîtra jusqu’en avril 1848,
et la Bibliothèque française. Catalogue méthodique et complet des ouvrages de tout genre qui se publient en France, qui paraîtra jusqu’en décembre 1847. Suivit la publication du Catalogue des livres composant la bibliothèque de M. O. E. Van Hippe (Paris, P. Jannet, 1847, in-8, [4]-124-[4] p., 1.639 lots), ancien chambellan du roi des Pays-Bas, dont la vente eut lieu à la Maison Silvestre, du lundi 15 au mercredi 31 mars 1847, en 9 vacations.
Bientôt associé à Louis-Catherine Silvestre (1792-1867), pour les ventes L**** [comte Guglielmo Libri], le 28 juin 1847 et Ferd[inando] Belvisi, le 8 décembre 1847,
il devint « son successeur désigné » pour la vente Busca, le 18 mars 1848.
Enfin successeur effectif de Silvestre, il publia les catalogues des ventes L.M.D.R. [le marquis du Roure], le 3 novembre 1848 ; Viollet-le-Duc, le 5 novembre 1849 ; G[uilbert] de Pixerécourt, le 27 novembre 1849 ; H. de Wynne, le 30 novembre 1849 ; marquis H[ippolyte] de Chateaugiron, les 19 et 20 décembre 1849 ; J.G. Pretre, peintre, le 28 février 1850 ; Amans-Alexis Monteil, historien, le 11 juin 1850 ; [Jean-François-Guillaume] Souquet de Latour, curé de Saint-Thomas d’Aquin, 1851 ; R.S.A***, le 22 avril 1851 ; Aimé Leroy, ancien bibliothécaire de la ville de Valenciennes, le 19 avril 1852 ; Truebwasser, le 24 janvier 1853 ; lord N*** [North], le 18 avril 1853 ; J[ean]-L[ouis]-A[ntoine] Coste, ancien conseiller à la cour royale de Lyon, en 1854 ; Duchesne aîné [Jean], ancien conservateur de département des estampes de la Bibliothèque impériale, le 24 mai 1855 ;
baron [Louis-Philippe-François] de Warenghien, ancien commissaire des guerres, le 9 juillet 1855.
Poursuivant ses activités éditoriales, Jannet reprit la devise « Livres nouveaulx, livres vielz et anticques », tirée d’une épître d’Étienne Dolet de 1544, que Silvestre avait adoptée pour toutes ses publications et qu’il avait placée dans un écu.
Le 1er janvier 1848, le premier numéro hebdomadaire de la Bibliographie universelle. Journal du libraire et de l’amateur de livres remplaça la Bibliothèque française.
À la même date parut le premier numéro du bimensuel Journal de l’amateur de livres. Dans le numéro 17 du 1er septembre 1848 (p. 257-271), un spirituel et savant article intitulé « Des livres supposés » est signé par Jannet, sous le pseudonyme de H. Haensel. À la réception du n° 1 de janvier 1850, où se trouve une longue lettre d’Édouard Fournier sur les livres imaginaires et adressée à Haensel, le baron de Reiffenberg écrivit :
« M. Jannet est un jeune homme instruit qui entend les langues vivantes, notamment l’allemand, la plus utile aux bibliologues et la moins connue en France. Il est possédé d’un goût très-vif [sic] pour la bibliographie et l’histoire littéraire ; mais connaissant l’esprit de la plupart de ses confrères, il est convaincu qu’un libraire soupçonné de lire un livre est un homme commercialement perdu et que celui qui serait atteint et convaincu d’écrire serait mis de droit au ban de la librairie.
En conséquence, ne pouvant résister à son goût favori, il a pris un masque : il s’est déguisé aux yeux de la digne corporation des bibliophiles et fait passer ses recherches et ses articles sous le nom de M. H. Haensel. » (Bulletin du bibliophile belge. Bruxelles, Cologne et Bonn, J.-M. Heberlé, 1850, p. 41)
Publié comme « Complément du Journal de l’amateur de livres Tome II. – Année 1849 », la Bibliotheca scatologica ou Catalogue raisonné des livres traitant des vertus faits et gestes de très noble et très ingénieux Messire Luc (à rebours) seigneur de la chaise et autres lieux […] par trois savants en us (Scatopolis [Paris], chez les marchands d’aniterges [torche-cul ou écrit sans valeur] [P. Jannet], l’année scatogène 5850 [1850]) ne porte pas au titre la vignette scatologique qui orne l’édition tirée ensuite à 150 exemplaires, au milieu de laquelle on lit « Dédié à M. Q » [Quérard], représentant les « trois savants en us » : le docteur Jean-François Payen (1800-1870), Alexandre-Auguste Veinant (1799-1859), employé au ministère des finances et Pierre Jannet.
La même année 1849, Jannet publia La Chasse du lièvre avecques les lévriers, par Isaac Habert, réimpression à 62 exemplaires sur l’exemplaire unique de 1599 de la Bibliothèque nationale, par les soins d’Auguste Veinant.
Le premier numéro de son Courrier de la librairie date du 16 janvier 1851. Cette publication parut chaque mois et fut distribuée gratuitement, par la poste, au nombre de 10 000 exemplaires, aux bibliothèques publiques, aux sociétés savantes, aux cercles, aux libraires et aux principaux bibliophiles de toute l’Europe.
En 1853, outre la parution des Marques typographiques, par Silvestre, son ex-associé, Jannet inaugura une collection nouvelle, bon marché et de qualité, la « Bibliothèque choisie », avec Les Aventures merveilleuses de Fortunatus : 50 centimes le volume in-16, contenant la matière d’un volume in-8 de 7,50 francs ; les volumes de 250 à 400 pages, ou volumes doubles, 1 franc ; il parut deux ou trois volumes par semaine. Mais cette collection, qui devait comprendre les Œuvres de H. de Balzac en 70 volumes à 50 centimes, dut s’arrêter devant l’insuccès.
Commencé le 15 novembre 1854, le mensuel La Propriété littéraire et artistique devint bimensuel à partir de 1er avril 1855,
puis hebdomadaire à partir du 1er janvier 1856 avec le titre de La Propriété littéraire et artistique, Courrier de la librairiepour la France et l’étranger. Tiré alors à 6.000 exemplaires, il fut adressé gratuitement à tous les libraires de France et d’Allemagne, et aux principaux libraires des autres pays, ainsi qu’aux bibliothèques publiques, académies, sociétés savantes, cercles et autres établissements du même genre.
À titre de prime, les abonnés recevaient, par livraisons, le Catalogue général de la librairie française au xixe siècle indiquant, par ordre alphabétique de noms d’auteurs les ouvrages publiés en France du 1er janvier 1800 au 31 décembre 1855, par Paul Chéron (1819-1881), de la Bibliothèque impériale, non mis dans le commerce, qui ne sera pas achevé (Paris, P. Jannet, 1856-1858, 3 t.). L’hebdomadaire fut acheté à la fin de 1858 par le Cercle de l’Imprimerie et de la Librairie, qui la réunit au journal officiel, dont il était devenu propriétaire.
Ouvrage destiné à faire suite au Manuel du libraire et de l’amateur de livres, par Jacques-Charles Brunet, le Manuel de l’amateur d’estampes, par Charles Le Blanc (1817-1865), du département des estampes de la Bibliothèque impériale, fut publié en deux tomes par Jannet, en 1854 et en 1856.
Le même éditeur donnait jour en 1855 au Manuel-Annuaire de l’imprimerie, de la librairie et de la presse, par Ferdinand Grimont (1818-1874), avocat, sous-chef au ministère de l’intérieur, bureau de la librairie, et en 1857 au premier des quatre tomes de La Muze historique, par Jean Loret (1595-1665), nouvelle édition par Jules Ravenel (1801-1885) et Edmond Valentin de La Pelouze, dont la publication sera poursuivie en 1877 et 1878 par P. Daffis, et à La Presse parisienne, par Ferdinand Grimont.
À côté de ces publications, Jannet fit marcher celle d’une « Bibliothèque elzévirienne », appelée par les amateurs « Édition à la sphère », à cause de la sphère qui figure aux titres et qui sera gravée sur le dos de chaque volume. Pour ce faire, une société de librairie fut formée entre Jannet, gérant, et Charles-Henry Ternaux-Compans (1807-1864), commanditaire, sous la raison sociale P. Jannet, aux termes d’un acte sous seings privés fait à Paris le 12 février 1853.
Henry Ternaux (1807-1864), époux de Louise-Adolphine Compans en 1836, ancien membre du Conseil d’escompte de la Banque de France, à la suite de son père, ancien secrétaire d’ambassade et ancien député de la Loire-inférieure, s’était fait connaître par un certain nombre de publications, dont la Bibliothèque américaine ou Catalogue des ouvrages relatifs à l’Amérique (Paris, Arthus-Bertrand, 1837), les Voyages, relations et mémoires originaux pour servir à l’histoire de la découverte de l’Amérique (Paris, Arthus-Bertrand, 1837-1841, 20 vol.) et la Bibliothèque asiatique et africaine ou Catalogue des ouvrages relatifs à l’Asie et à l’Afrique (Paris, Arthus-Bertrand, 1841). L’année de son mariage, il avait vendu chez Silvestre, sous le nom de Rætzel [ou Ræthsel], sa collection « la plus complète de livres sur la littérature de l’Espagne et du Portugal et de leurs colonies dans les deux mondes, qui ait jamais été offerte en vente publique. »
La « Bibliothèque elzévirienne » répondait au principe suivant : « Publier une collection d’ouvrages d’élite, dignes de tous par leur exécution matérielle, à la portée de tous par la modicité de leur prix. » Elle devait se composer d’ouvrages anciens, inédits ou rares, utiles pour l’étude des mœurs, de la littérature ou de l’histoire et d’ouvrages antérieurs au xviiie siècle qui jouissent d’une réputation méritée. Le format fut celui des Elzevier un peu agrandi, avec cette différence que la feuille fut tirée in-16, ce qui donna des volumes plus réguliers que l’in-12 des Elzevier. Il fallut faire fabriquer le papier de fil avec un filigrane reproduisant le nom de Jannet. Quant aux caractères, il fit faire des fontes de ceux qui lui parurent les plus convenables, en attendant qu’il lui fût possible d’employer, à partir de 1856, les caractères elzéviriens qu’il devait faire graver par Gouet, 103 rue du Cherche-Midi (VIe). Les ornements furent copiés par un autre graveur, Le Maire, sur ceux dont se servaient les Elzevier. Les imprimeurs se prêtèrent à des modifications qui assuraient la régularité du tirage. C’est l’imprimerie de Jules Guiraudet et Charles Jouaust, 338 rue Saint-Honoré (Ier), qui, de 1853 à 1858, a imprimé les ouvrages composant la « Bibliothèque elzévirienne ». Les neuf premiers volumes ne furent mis en vente qu’au mois d’août 1853. La collection fut accueillie avec faveur. Le 15 février 1855, Jannet publia un « Avis important » :
« Les volumes de la Bibliothèque elzevirienne [sic] sont imprimés sur papier collé et très chargés d’encre : il est difficile de les relier tout de suite sans les maculer. D’un autre côté, leur couverture en papier blanc perd promptement sa fraîcheur, et on ne peut les garder long-temps [sic] brochés. J’ai pris le parti de faire couvrir ces volumes d’un élégant cartonnage en toile [percaline rouge], à la manière anglaise, ce qui permettra aux amateurs soit de les garder toujours ainsi, soit de ne les faire relier que dans un an ou deux. A partir d’aujourd’hui, tous les volumes seront vendus cartonnés, non rognés et non coupés, SANS AUGMENTATION DE PRIX. Les personnes qui possèdent des volumes brochés non coupés pourront les échanger, sans frais, contre des volumes cartonnés ; quant aux volumes coupés, je me chargerai de les faire cartonner moyennant 75 centimes. » (Catalogue de la Bibliothèque elzévirienne et des autres ouvrages du fonds de P. Jannet. Paris, P. Jannet, 1855, p. 6)
En 1856, Jannet dut quitter la salle Silvestre et s’installa au 15 rue de Richelieu. C’est alors que parut le Specimen des nouveaux caractères destinés à l’impression de la Bibliothèque elzevirienne [sic] suivi du Plan de la collection (Paris, P. Jannet, 1856), livret de 80 pages qui marqua la rupture avec le style Didot jusqu’alors dominant.
En moins de six ans, Jannet fournit plus de cent volumes, annotés par lui-même et par les plus érudits : Prosper Mérimée, de l’Académie française ; Célestin Moreau, auteur de la Bibliographie des mazarinades ; Anatole de Montaiglon, de la Société des antiquaires de France ; le littérateur Viollet-le-Duc ; le poète Prosper Blanchemain ; P.L. Jacob, bibliophile ; Jean-Baptiste Tenant de Latour, bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier au palais de Compiègne ; Alexandre Gratet-Duplessis, ancien recteur de l’Académie de Douai ; l’amateur Adrien Destailleur ; l’écrivain Paul Boiteau ; le critique Charles Asselineau ; l’historien Édouard Fournier ; Victor Fournel, critique littéraire passionné par le vieux Paris ; Charles d’Héricault, journaliste ; Louis Lacour de La Pijardière, archiviste paléographe ; Édouard Lancereau, de la Société asiatique ; l’historien Ludovic Lalanne ; le prince Augustin Galitzin ; Thomas Wright, membre correspondant de l’Institut de France ; Auguste Vallet de Viriville, archiviste paléographe ; Jules Taschereau, administrateur de la Bibliothèque nationale ; Paul Pougin, archiviste paléographe ; Edélestand du Méril, philologue, cousin germain de Jules Barbey d’Aurevilly ; Émile Mabille, archiviste paléographe ; Charles Marty-Laveaux, archiviste paléographe ; Louis Moland, critique littéraire ; Charles-Henry Ternaux-Compans, ancien député ; Charles Brunet, inspecteur général, chef de bureau au Ministère de l’Intérieur ; Francisque-Michel, correspondant de l’Institut de France ; Charles-Louis Livet, spécialiste du xviie siècle français ; Émile Chasles, professeur de littérature étrangère à la Faculté des lettres de Nancy ; Gustave Aventin [anagramme de Auguste Veinant], employé au Ministère des Finances ; Charles Alleaume, archiviste-paléographe ; Gustave Brunet, bibliographe ; etc.
Les relations de l’éditeur avec ses amis auteurs n’étaient pas sans nuages. En 1856, Édélestand du Méril a fourni à Jannet une édition de Floire et Blanceflor dont les notes, oiseuses, inutiles ou malencontreuses, étaient presque aussi longues que le texte lui-même, déclenchant une querelle entre eux qui se termina devant les tribunaux. Ceux-ci donnèrent tort au libraire, qui avait fait imprimer une Note pour P. Jannet libraire-éditeur, contre M. Édélestand du Méril homme de lettres (Paris, impr. Guiraudet et Jouaust, s.d.), distribuée avec le volume même, véritable pamphlet contre l’auteur :
« Voilà ce candidat à l’Académie des inscriptions, qui fait un livre dans lequel moi, humble libraire, je découvre plus d’erreurs que je n’en pourrais relever, alors même que je voudrais faire un volume plus gros que le sien !
Voilà donc ce livre énorme qui me coûte tant d’argent et qui déshonore ma collection ! ce qui m’oblige à dire au public :
“ N’ayez aucune confiance en ma circonspection ordinaire : n’achetez point ce livre, dont la Préface est absurde, dont le texte est déplorable et dont le Glossaire est ridicule ; ne l’achetez point, car vous mettriez sur vos tablettes le chef-d’œuvre de l’éducation incohérente, vide et sans utilité ” » (p. 32-33)
L’édition des Œuvres complètes de Théophile (Paris, P. Jannet, 1855 [t. II]-1856 [t. I]), donnée par Charles Alleaume (1820-1900), contient à la fin du tome second des « Pièces du Parnasse satyrique attribuées à Théophile lors de son procès » (p. 437-439) et des « Pièces attribuées à Théophile par un manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal » (p. 440-448), très libres. Le critique Désiré Nisard (1806-1888) ayant écrit que « Théophile est condamné à n’être connu des honnêtes gens que de nom […] M. Alleaume a donné une nouvelle édition des Œuvres de Théophile », Alleaume exigea la suppression desdites pièces ou, à défaut, leur transcription en caractères grecs ! Devant la résistance de son éditeur, l’auteur en appela en 1859 aux tribunaux, qui acquittèrent Jannet et condamnèrent Alleaume aux dépens.
Pour des raisons financières, et non à cause de la mort de son commanditaire, comme on l’a constamment écrit, la société de librairie formée entre Jannet, 15 rue de Richelieu, seul gérant responsable, et Ternaux-Compans, 39 rue Neuve des Mathurins, simple commanditaire, sous la raison sociale P. Jannet, fut dissoute d’un commun accord, suivant acte sous signatures privées, fait à Paris le 25 janvier 1858. Tous pouvoirs furent donnés aux liquidateurs, Jannet et Émile Hécaen, 9 rue de Lancry, pour continuer la publication de la « Bibliothèque elzévirienne » et de divers autres ouvrages. Pour terminer la liquidation de ladite société, Jannet abandonna à Ternaux-Compans tout l’actif de la société, tant pour le remplir du montant de sa commandite que pour le couvrir du passif.
Au début de l’année 1859, Jannet céda la « Bibliothèque elzévirienne » à la veuve de Antoine-Laurent Pagnerre (1805-1854) qui tenait, avec sa fille, au 18 rue de Seine, une étroite et sombre librairie, jadis florissante. Pagnerre ne tarda pas à la revendre, en 1865, à la librairie Albert Franck (Albert L. Herold successeur), 67 rue de Richelieu, installée en face de la Bibliothèque impériale.
Jannet avait donc quitté la librairie, mais pas l’édition, pour se réfugier dans sa grande maison du 30 boulevard Jourdan, à Montrouge, où il se livrait à l’élevage des poules et des faisans. Il avait formé une collection composée d’exemplaires les plus rares, de faisans, de coqs et de poules exotiques dans le jardinet de sa propriété, à côté de ses magasins de consignation de librairie.
Dès 1859, dans les cinq premiers tomes de la première année de sa parution, la Revue européenne employa les talents de Jannet pour rédiger la chronique « Tablettes d’un amateur », de son chapitre « Bulletin bibliographique », qui traita de la définition de l’amateur, des catalogues de Libri, de Cigongne, de Veinant, de Brunet, des reliures, et même des oiseaux de basse-cour, etc., mais aussi des ventes de livres, d’estampes, etc., le tout complété par des notes. Mérimée lui avait écrit de Cannes, le 6 février 1860 :
« M. Pelletier m’avait déjà appris quelque chose de votre histoire ; vous ne m’en dites guère davantage, mais seulement assez pour me faire beaucoup de peine. Je suis désolé de cette affaire, d’abord pour vous, puis pour tout le monde qui y perdra. […].
Je ne puis croire cependant que vous ne continuiez pas à édifier le monde savant par des ouvrages moraux. Si vous n’imprimez pas ceux des autres, pourquoi n’en feriez-vous pas qu’on imprimerait ?
Pourquoi ne raconteriez-vous pas au public vos tribulations dans le même style que la notice qui accompagne le poème de Blancheflor ?
Je suis ici pour une quinzaine de jours ; dès que je serai à Paris, j’irai vous relancer parmi vos poules, et j’espère vous y trouver fier comme un coq. » (Maurice Tourneux. Prosper Mérimée ses portraits ses dessins sa bibliothèque. Paris, Charavay frères, 1879, p. 93-95)
C’est sous le pseudonyme de P. J. Ferdermann qu’il publia Quelques mots sur les oiseaux de basse-cour, à propos du Concours général et national d’agriculture (Paris, E. Panckoucke, 1860). Bien que son nom ne soit pas « d’un grand poids dans les questions financières », Jannet signa La Banque de France, le Crédit et la Monnaie (Paris, A. Poulet-Malassis, 1861), se proposant « d’indiquer en quelques mots les causes du mal et les moyens de le faire cesser. » Il avait effectivement un projet de banque, la Société générale de librairie, sous la raison sociale P. Jannet et Cie, 5 rue du Pont-de-Lodi, dont la description fut imprimée en 1865.
Fondée cette dernière année par Paul Chéron, de la Bibliothèque impériale, Jules Cousin, de la Bibliothèque de l’Arsenal, Louis Lacour, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Lorédan Larchey, de la Bibliothèque Mazarine, et Anatole de Montaiglon, secrétaire de l’École des chartes et ancien bibliothécaire à l’Arsenal, l’Académie des bibliophiles était une « Société libre pour la publication à petit nombre de livres rares ou curieux », la plupart imprimés par Damase Jouaust (1834-1893), fils de Charles, auquel il venait de succéder. Un extrait de l’article IV des Statuts était rappelé au verso du faux titre de chaque exemplaire :
« Chaque ouvrage appartient à son auteur-éditeur [sic]. La Compagnie entend dégager sa responsabilité collective des publications de ses membres. »
Le premier titre de la collection, achevé d’imprimer le 15 novembre 1866, fut De la bibliomanie, par Bollioud-Mermet, de l’Académie de Lyon, tiré à 160 exemplaires (2eédition de la réimpression). Membre du Conseil de l’Académie, Jannet publia dans la collection La Seiziesme joye de mariage (1866), pastiche dont il était l’auteur, tiré à 500 exemplaires, et Saint Bernard. Traité de l’amour de Dieu (1867), imprimé par Jules Bonaventure et tiré à 313 exemplaires.
Le 15 novembre 1866, le libraire Edmond Picard, 47 quai des Grands-Augustins, entreprit la publication de la « Nouvelle Collection Jannet » : en effet, Jannet voulut bien se charger de la direction littéraire et typographique de la collection. Le format adopté fut l’in-16.
Tous les volumes furent reliés en percaline bleue, après leur impression en caractères antiques, sur du beau papier, par Damase Jouaust. Il fut tiré pour les amateurs un petit nombre d’exemplaires sur papier vélin et sur papier de Chine, livrés brochés, dans un étui. Il parut deux volumes par mois. Les deux premiers furent Les Pastorales de Longus, ou Daphnis et Chloé et Les Aventures de Til Ulespiègle. On pouvait lire, dans La Petite Revue anecdotique du 1er février 1867, de René Pincebourde, éditeur l’année précédente des fameux Mélanges tirés d’une petite bibliothèque romantique, par Charles Asselineau :
« Et d’abord, grande nouvelle, M. Jannet, Pierre Jannet, le vrai Jannet, le Jannet de cette Bibliothèque elzevirienne [sic] si malheureusement étranglée, au dire des amateurs et des gens de lettres, M. Jannet enfin rentre en lice avec une collection nouvelle bravement intitulée : Collection Jannet, et, certes, il ne se pouvait pas de baptême plus heureux. »
À l’apparition du troisième tome du Rabelais de la « Nouvelle Collection Jannet », Lorédan Larchey écrivit :
« Bien qu’il ait été oublié dans la première édition de M. Vapereau, M. P.-G. Jannet m’a toujours semblé une des individualités les plus remarquables de la librairie parisienne, qui en possède tant et de si diverses. En comptant sur mes doigts, je trouve d’abord en lui un écrivain financier qui ne manque point de justesse ; il a fait comme un autre sa brochure sur la Banque, et celle-là n’était pas la moins riche en idées pratiques. Il fut aussi ornithologue, et il a peut-être encore une des collections de poules les plus distinguées de Paris ; ce qui nous a valu une brochure non moins instructive que celle dont nous avons parlé tout à l’heure. Cela n’empêche point M. Jannet d’être un philologue sagace auquel il ne fait toujours pas bon se frotter. Il me souviendra longtemps d’un débat dans lequel lui, libraire, porta un coup sensible à la réputation scientifique d’un de ses auteurs. Ce fut, bien entendu, au moyen d’une troisième brochure.
Enfin, M. Jannet est pour nous un confrère. Sous le titre de Tablettes, il a rédigé une chronique pour la défunte Revue Européenne. J’oserai ajouter qu’elle était plus lue que le Jessie de M. Mocquard.
Voilà, n’est-il pas vrai ? bien des aptitudes diverses, et, s’il fallait en croire le préjugé, un homme qui sait tant de métiers a dû négliger le sien.
Eh bien ! détrompez-vous. M. Jannet est réellement un éditeur. En cette qualité, il a su créer déjà deux collections qui sont bien à lui. La première fut cette Bibliothèque Elzévirienne, qui n’est pas trop tombée au rabais, bien qu’elle n’ait point rapporté de gros dividendes à feu Ternaux-Compans. On peut dire de plus qu’elle a donné le branle à cette renaissance dite elzévirienne qui influe si heureusement depuis une douzaine d’années sur l’aspect des produits de notre librairie.
La seconde, commencée depuis deux années, avec le concours de M. Picard, est appelée à un succès plus grand qu’elle mérite au même titre. Je ne crois pas qu’il soit possible d’établir à un prix aussi insignifiant des volumes édités dans des conditions relativement meilleures.
Je ne sais si la Nouvelle Collection Jannet s’est risquée à l’Exposition de 1867, mais, si j’avais été jury, comme dit M. Prudhomme, j’aurais donné aux livres dont je parle la médaille acquise à tout fabricant unissant dans ses produits trois mérites qui s’appellent : la correction, l’élégance, le bon marché. » (Le Bibliophile français. Gazette illustrée. Paris, Bachelin-Deflorenne, 1868, t. I, p. 191-192)
Selon Georges Vicaire, Jannet aurait signé Rabelais et ses éditeurs (Paris, Auguste Aubry, 1868), extrait de la Revue moderne du 25 novembre 1868, sous le pseudonyme de H. Émile Chevalier : mais Henri-Émile Chevalier (1828-1879), journaliste et homme de lettres, auteur en particulier des Drames de l’Amérique du Nord, a bel et bien existé.
Partisan, avec Ambroise Firmin-Didot, d’une réforme de l’orthographe, Jannet écrivit « La Réforme de l’orthographe » dans la Revue moderne du 10 janvier 1869 (p. 107-136).
Il publia la même année De la langue chinoise et des moyens d’en faciliter l’usage (Paris, A. Franck, 1869),
puis, avec Gustave Brunet, Les Supercheries littéraires dévoilées, par Quérard (Paris, Paul Daffis, 1869-1872, 4 vol.) : seconde édition, considérablement augmentée, suivie du Dictionnaire des ouvrages anonymes, par Barbier, troisième édition revue et augmentée par Olivier Barbier, conservateur sous-directeur adjoint à la Bibliothèque impériale, fils de l’auteur, et d’une Table générale des noms réels des écrivains cités dans les deux ouvrages.
La dernière publication signée par Jannet fut une Notice sur le château de Méréville (Paris, J. Bonaventure, 1870). La même année, le libraire Paul Daffis, 9 rue des Beaux-Arts, se rendit acquéreur de la « Bibliothèque elzévirienne » : Jannet accepta alors de se charger de la direction littéraire et typographique de la collection et envoya chez l’imprimeur le premier des 20 volumes de la série intitulée Les Conteurs français.
Après la déchéance de Napoléon III, le 4 septembre 1870, il avait commencé à se livrer à la vie publique. Membre de la commission d’armement du XIVe arrondissement, il échoua aux élections à la mairie, mais organisa avec succès la nourriture gratuite des enfants des écoles de filles et de garçons.
Une épidémie de variole régnait depuis quelque temps à Paris. Une violente attaque, contractée en visitant les écoles communales de Montrouge, enleva Jannet le 23 novembre 1870, malgré les soins du Dr. Jean-François Robinet (1825-1899), médecin d’Auguste Comte, en son domicile du 30 boulevard Jourdan, dans un quartier qui appartenait à la commune de Montrouge et qui avait participé, avec les communes de Gentilly et de Vanves, à la formation du XIVe arrondissement, en 1860.
« Du vingt trois novembre mil huit cent soixante dix à deux heures du soir. Acte de décès de Pierre Jannet, décédé ce matin à cinq heures, en son domicile, boulevard Jourdan, n° 30 ‹ XIVe mairie › âgé de cinquante ans, propriétaire, né à Saint André des Bois ‹ Gironde › célibataire, sans autre renseignement. Constaté suivant la loi, par nous Jean Pierre Héligon officier de l’Etat Civil, sur la déclaration de Pierre Laffitte, âgé de quarante sept ans, professeur de mathématiques, demeurant à Paris rue d’Assas n° 126, et de Edmond Picard, âgé de trente sept ans, libraire, demeurant à Paris quai des Grands-Augustins n° 47 qui ont signé avec nous après lecture »
Moins d’une trentaine de personnes accompagna sa dépouille au cimetière du Montparnasse. Très peu de temps avant la mort de Jannet, Pierre Laffitte (1823-1903), son exécuteur testamentaire, professeur de mathématiques, devenu directeur du « Positivisme » et successeur d’Auguste Comte, avait chargé le libraire Delaroque aîné, 21 quai Voltaire, de procéder à une vente publique des manuscrits, notes et brochures de l’éditeur : tout fut entassé, dans un désordre indescriptible, salle Silvestre.
Après la mort de Jannet, arrivée au milieu du siège de Paris, qui dura du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871, sa maison, à cause de la proximité des fortifications, fut employée comme poste et comme ambulance.
Par suite du décès de Daffis, la « Bibliothèque elzévirienne » fut acquise en 1882 par Eugène Plon et Cie, installée 8 et 10 rue Garancière : elle fut achevée en 1898 et compta au total 90 titres, pour 175 volumes.